Infractions et crimes électoraux: A quand l’application de la loi ?

La polémique autour des dépassements commis lors des élections de 2019 enfle toujours. Deux ans après, certains remettent en cause l’intégrité et la crédibilité de ce scrutin. Autant dire que ces manquements étaient tellement nombreux et flagrants qu’on ignore toujours le sort de ces élections. Des voix évoquent même l’annulation de certaines listes électorales.

C’est la Cour des comptes, structure chargée par la loi de vérifier le financement des partis politiques et des campagnes électorales, qui a, dernièrement, rouvert le dossier des dépassements, délits, infractions et même crimes électoraux commis lors des élections de 2019.

Ladite Cour annonce dans ce sens que la juridiction a rendu plus de 350 décisions de premier ressort relatives à des délits commis par des listes électorales lors des législatives de 2019, portant notamment sur le non-dépôt du compte financier des listes électorales. D’ailleurs, en ce qui concerne les municipales de mai 2018, la Cour a rendu des décisions, en première instance, portant annulation de 80 listes n’ayant pas respecté le principe de la transparence, dont une trentaine de listes indépendantes.

La juge à la Cour des comptes Fadhila Gargouri explique à cet égard que qu’entre janvier et février 2021, plus de 30 affaires concernant des crimes électoraux à l’instar de la publicité politique et les financements illégaux ont été soumises à la justice judiciaire, une manière d’encenser la branche judiciaire à exercer tous ses pouvoirs pour sanctionner les listes ayant commis de tels crimes électoraux.

Et d’ajouter que la Cour des comptes a, depuis octobre 2020, date de publication de son rapport sur la campagne de l’élection présidentielle anticipée et des élections législatives de 2019, entamé l’examen des différents dossiers. Elle a intenté quatorze procès auprès des procureurs de la République près les chambres de la Cour.

Financement étranger

Outre les délits de non-dépôt du compte financier des partis et des listes électorales, ce sont notamment les soupçons de financement étranger des campagnes électorales qui pèsent lourdement sur les scrutins de 2019.  En effet, si le financement des partis politiques et campagnes électorales représente un enjeu central de la vie politique démocratique ainsi que du code électoral en Tunisie, plusieurs partis ont eu accès, depuis la Révolution, à ce genre de financement sans qu’ils ne soient sanctionnés par la justice.

Pourtant, la Cour des comptes est autorisée par la loi à procéder à la réalisation de son contrôle sur les ressources et les dépenses affectées à la campagne de chaque liste de candidats, ou partis. Elle s’assure du respect de l’unicité du compte et réalise son contrôle sur les crédits du compte bancaire unique et ses débits dans le souci de contrôler tout financement étranger. «Les membres de la liste ayant bénéficié du financement étranger perdent la qualité de membre de l’Assemblée des représentants du peuple. Le candidat à l’élection présidentielle ayant bénéficié du financement étranger est puni d’une peine d’emprisonnement de cinq ans», stipule la loi électorale. En dépit de ces dispositions, certains partis ont encouru le risque de conclure des contrats de lobbying avec des parties étrangères dans l’ambition de redorer leur image.

A ce sujet, la magistrate a mis en avant le besoin de revoir les procédures et les délais et de trouver des mécanismes de coordination entre les différentes branches de la Justice, affirmant que la Cour a prouvé la véracité de ces contrats de lobbying conclus par des partis politiques tunisiens lors de ces événements électoraux.

Il est à rappeler que le rapport de la Cour des comptes sur les élections de 2019 pointe notamment les infractions commises par les listes d’Ennahdha, de Qalb Tounès et de Aich Tounsi, qui ont engagé des sociétés étrangères de lobbying pour mobiliser un appui étranger dans une tentative d’avoir des impacts sur les campagnes électorales. En effet, selon ledit rapport, ces partis candidats aux élections de 2019 ont beau utiliser des moyens illicites en engageant des sociétés étrangères de lobbying à coups de plusieurs centaines de milliers de dollars pour mobiliser un appui étranger. Par exemple, on expliquait que le candidat à la présidentielle, Nabil Karoui, a conclu un contrat avec une compagnie de lobbying étrangère en date du 19 août 2019, moyennant 2,85 millions de dinars, afin d’avoir l’appui des structures et des instances internationales.Dernièrement, l’ONG I Watch a mis au jour un nouveau contrat de lobbying conclu par Ennahdha avec une société d’influence. D’ailleurs, l’organisation non gouvernementale compte porter plainte contre le mouvement islamiste pour financement douteux. C’est ce qui ressort d’un communiqué rendu public mardi dernier, une plainte pénale qui sera déposée auprès de la justice en vertu de la loi organique n°2015-26 en date du 7 août 2015 relative à la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent. A cet effet, le membre de l’Instance électorale Farouk Bouasker a affirmé que «l’Isie ne peut appliquer les décisions de la Cour que si les jugements sont définitifs». Selon Bouasker, le retard des décisions de la Cour des comptes est dû à la loi électorale qui ne prend pas en considération la spécificité de la matière électorale.

La longueur des procédures est notamment due au décret-loi n° 71-218 de 1971 portant organisation de la Cour des comptes, et en particulier les articles relatifs à l’information et à l’application des jugements, a-t-il encore précisé.

Quelles sont les entraves ?

En effet, ce qui rend difficile de poursuivre ce genre de crimes et d’infractions électoraux n’est autre que la complexité et l’effritement des moyens légaux de contrôle. D’ailleurs, selon Gargouri, l’opération de contrôle du financement de la vie politique «doit être confiée à une structure indépendante qui, après examen, transfèrera les dossiers des contrevenants à la Cour des comptes. Il s’agit, ainsi, de permettre aux juges de cette juridiction de se consacrer aux missions qui leur sont confiées».

La juge a, aussi, appelé à la nécessité de revoir les procédures et de réduire les délais judiciaires pour une meilleure application de la loi et pour un système de justice efficace. Elle a, également, recommandé de réviser le régime des sanctions judiciaires. D’après elle, les infractions doivent être sanctionnées selon leur gravité, relevant que certaines sanctions n’ont pas été prévues par la loi en vigueur.

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