Exploitation pétrolière — Hamed El Matri : «L’exploration pétrolière en Tunisie est boudée par les investisseurs»

L’annulation des permis de recherche d’hydrocarbures «Sud Remada» et «Jenein Centre» détenus par la société «Atog Sahara Limited» reflète, selon Hamed El Matri, ingénieur et expert de l’exploitation pétrolière, les maux du secteur énergétique tunisien et montre l’urgence d’agir pour le sauver avant qu’il ne soit trop tard.

Comment analysez-vous l’annulation des permis de recherche d’hydrocarbures «Sud Remada» et «Jenein Centre» détenus par la société «Atog Sahara Limited» ?

Sans entrer dans les détails, cette situation incarne les maux du secteur des hydrocarbures aujourd’hui. Depuis des années, la Tunisie a cessé d’être attractive pour les grandes sociétés pétrolières, qui ont une à une quitté le pays (ce n’est plus un secret que même ENI & Shell, derniers majors opérant en Tunisie, seraient en train de préparer leur départ). Parmi les raisons de ce phénomène, on note surtout l’absence de vision et de stratégie, la rigidité du cadre fiscal et législatif et l’interférence des rôles et responsabilités entre l’Etap et le ministère d’un côté et le ministère et le Comité consultatif des hydrocarbures (CCH) de l’autre. Les choses ont empiré avec l’instabilité sociale et sécuritaire des dernières années.

Quand on prend en compte que les deux dernières années furent marquées par la pandémie, la chute des prix du pétrole, et la situation sociale exceptionnellement tendue dans le Sud tunisien, nous ne sommes pas surpris de constater qu’un opérateur n’ait pas pu honorer ses engagements de forage ou de recherche sismique. N’oublions pas que même avant cela, 3 sur les 4 dernières opérations de recherche sismique ont dû être abandonnées en cours de route pour cause de «force majeure» liée à des situations sociales et/ou sécuritaires insurmontables.

Nous sommes plutôt surpris de voir que l’on est en train de «punir» des investisseurs dans de telles conditions ! Même si on a des réserves contre certaines sociétés récemment installées en Tunisie et sur leurs capacités techniques ou financières, il faut admettre que ce n’est pas en les chassant que des sociétés plus intéressantes seraient séduites par la destination Tunisie.

Le rôle des instances nationales devrait être celui de promouvoir l’investissement, mais la réalité est que l’exploration pétrolière en Tunisie est bien boudée par les investisseurs, et au lieu de chercher les raisons et d’y remédier, on s’obstine à adopter les lectures les plus rigides de la législation et à ignorer les besoins et contraintes des investisseurs.

Cette annulation aura-telle des répercussions financières sur la Tunisie ?

Retirer un permis à un investisseur, c’est un pur constat d’échec. C’est la preuve claire que l’on n’arrive pas à gérer ses partenariats. Tout le monde y est perdant, l’investisseur certes, mais l’Etat tunisien sans doute. Le bloc «libéré» doit trouver un nouvel acquéreur et, au meilleur des cas, le processus entre octroi de permis, exploration, découverte et jusqu’au développement et mise en exploitation, serait retardé de plusieurs années, outre les effets néfastes d’un tel conflit sur l’attractivité de la Tunisie auprès d’autres investisseurs.

En outre, il est assez probable que la société opératrice n’accepte pas cette décision et qu’elle ait recours à l’arbitrage international. Dans ce cas, il se peut que la situation connaisse d’autres rebondissements qui risquent de ne pas être dans l’intérêt de la Tunisie.

Pourtant, certaines voix s’étaient élevées pour jubiler à propos des 3 ou 4 millions de dollars d’amende infligés à la société opératrice. C’est simplement se tromper complètement de lecture et de cap.

Et qu’en est-il de l’image du secteur énergétique ?

Nulle publicité n’est aussi convaincante que des «success stories» à vendre, avec des découvertes et des investisseurs satisfaits, et rien n’est aussi répulsif pour les investisseurs que des litiges pareils. Comme déjà expliqué, l’image du secteur énergétique tunisien est bien ternie depuis plusieurs années. Si l’on compare le nombre de permis d’exploration octroyés, on dénombre 37 licences en 2003 contre 21 aujourd’hui, mais surtout nous sommes passés d’une moyenne de 10-11 puits d’exploration par an à 0-1 puits durant les dernières années. C’est un indicateur assez parlant du niveau de l’attractivité du secteur pétrolier tunisien, mais aussi sur les chances de réaliser des découvertes et renouveler les réserves à exploiter.

Le niveau des investissements étrangers dans le secteur connaît une baisse continue et se retrouve presque au point mort actuellement. Et au-delà de toute la polémique sur l’étendue des réserves pétrolières tunisiennes, il faut bien rappeler que la question d’avoir des réserves ou non n’a pas de sens, tant que ces réserves ne sont pas découvertes, développées et mises en exploitation.

Du côté des énergies renouvelables, la situation n’est pas différente. En plus des labyrinthes administratifs, le projet de la station photovoltaïque de 10 MW de Tataouine, réalisée par un consortium ENI-Etap et achevée depuis plus d’un an, reste non connectée au réseau national à cause d’un refus de l’Ugtt. C’est un exemple type des risques auxquels sont exposés les investissements et un modèle qui décourage les investisseurs à se lancer dans des projets en Tunisie, malgré le potentiel indiscutable du solaire tunisien.

Que proposeriez-vous pour améliorer la gouvernance du secteur énergétique en Tunisie ?

Ce qu’il nous faut avant tout, c’est une stratégie claire qui soit adoptée sur le moyen, voire le long terme. Il faut savoir où est ce qu’on veut aller, fixer des objectifs et se doter des moyens pour les accomplir. Le déficit énergétique constitue une réelle hémorragie dans les finances publiques. Remédier à cette situation doit être considéré comme une priorité nationale.

La gouvernance du secteur doit être profondément revue. Les instances qui régissent le secteur doivent connaître une restructuration afin de les rendre plus efficaces et plus adaptées aux nouvelles donnes du secteur, tout en clarifiant les rôles et responsabilités de chacune.

Le cadre législatif doit également être repris pour garantir une meilleure attractivité du secteur, tout en respectant les intérêts nationaux, et en introduisant de nouvelles notions telles que la responsabilité sociétale des entreprises ou le développement durable. La polémique autour des richesses pétrolières a littéralement asphyxié le secteur, et il est temps d’œuvrer ensemble pour sauver ce qui en reste, avant qu’il ne soit trop tard.

Ce secteur reste d’une importance vitale pour l’économie nationale. Et même la transition vers les énergies propres tant souhaitée ne peut être accomplie sans une feuille de route détaillée, des ressources, des infrastructures, et ne peut pas passer sans développer les autres ressources de pétrole et de gaz déjà disponibles.

Laisser un commentaire