« Les Sylves intérieures », recueil de poésie de Sylvie Forestier : Des poèmes embaumés de forêt

« Le vent lancinant/ Dans les voiles du temps/ Le rêve divague/ Le long du chemin vague/ Un oiseau à la face d’une étoile sonore/ Murmure incessant entre ses lèvres d’or/ Je t’aime ».

Roland Barthes dit quelque part dans « Analyse textuelle d’un conte d’Edgar Poe » que le nom propre est « le prince des signifiants » et qu’il faudrait l’interroger soigneusement. Bien sûr, c’est des noms des personnages qu’il s’agit. Mais dans ce recueil de poèmes de Sylvie Forestier, ce sont le prénom et le nom de cette autrice trônant en haut de la première de couverture qui sollicitent tout de suite notre attention et nous mettent face à une superbe interaction entre leur signification sémantique et celle du titre : « Sylvie » (prénom) vient du latin « Sylva » voulant dire « forêt » dont dérive l’adjectif « forestier » (nom de famille) et les « Sylves », en tête du titre du recueil, dérive aussi de « Sylva » (forêt) et rencontre sémantiquement, ou par association isotopique, le nom de famille de l’autrice qui, comme ce nom propre le suggère, appartient complètement, par sa nature même, par ses « profondeurs mythiques », à la forêt qui est, chez elle, « intérieure », qu’elle porte en elle-même avec son romantisme moderne, presque anachronique, mais très bienvenu, et son lyrisme rêveur l’emportant par delà les nuages :

« Je vais sur les nuages/ respirer l’air glacé des cimes/ J’entends pleurer le ciel si fort/ que mon cœur se fêle/ Je suis si loin du soleil/ que je n’en puis craindre les traîtresse morsures/ Et je suis si près de la lune/ que j’en prends l’air taciturne et moqueur » (p. 17).

Artiste ayant plusieurs cordes à son arc (Poésie, photographie, peinture, récital, théâtre), captive de la nature, Sylvie Forestier semble être prédestinée à la forêt qu’elle évoque avec verve et amour, qui « l’affole et dont elle sort essoufflée » (p. 49), qu’elle habite en poète et où elle cueille, comme des roses sauvages, ces poèmes baignés à plein de lumière au parfum desquels on sent s’ouvrir nos cœurs et qui arrêtent le temps « dans les méandres du songe » (p. 37):

« Au fin fond des forêts/ où tu crois que tout n’est que forêt/ et que les champs n’existent pas/ et que les mers non plus/ Tu t’enroules et tu t’emmêles/ tu te faufiles/tu rampes comme un serpent le long des écorces/ (…) tu sautes tel un lutin moqueur/ sur les arbres morts/ tu regardes hypnotisée/ les feuilles aux couleurs hallucinantes/ (…) Quand tu ressors de la forêt/ ta tête est lourde/ en contemplant de loin cette masse énorme/ où tu t’es perdue et enivrée » (p. 37).
Sur les fécondes terres nourricières de ses grands rêves de forêt prodigue, Sylvie Forestier développe à coup de métaphores insolites, d’insistantes itérations lexicales et syntaxiques structurantes (anaphores et hypozeuxes) et de douces sonorités répétitives, ruisselantes, inspirant ouverture, éclat et continuité, une parole enchanteresse qui s’infiltre dans les arcanes tortueux de l’ineffable, interroge la nature et partant le monde, s’applique à « percer ce mystère universel/ en déchiffrant les messages arachnéens/ que se transmettent entre eux les arbres espacés » (p. 15) et essaye enfin d’ouvrir dans les brumes forestières des fenêtres sur un horizon de bonheur.

L’acte poétique créateur de Sylvie Forestier est soutenu dans ce recueil où flotte « une vague embaumée de myrrhe et de benjoin » (p. 14), par des photos d’art prises à la forêt par l’autrice, puis retravaillées comme des peintures impressionnistes pour acquérir une forte valeur expressive, illustrer joliment ce recueil et dialoguer discrètement avec les interstices de ces vers dont fuse continûment une belle émotion et qui traduisent finement cette insaisissable beauté de l’éphémère où l’on se promène comme dans un songe, avant qu’émerge soudain, au sortir de l’inexprimable jouissance onirique, « la ville embuée (…) des inégales richesses » (p. 52) aux « pavés noircis, recouverts par la brume » qui « s’étire dans le fond de l’âme, tel un voile » (p. 10).

Alternant le « je » lyrique avec le « tu » qui renvoie par un reflet de miroir à la même voix énonciative, Sylvie Forestier semble faire d’elle-même l’objet et la matière de sa propre poésie où l’on reconnaît, outre ses incessantes balades forestières, ses images intérieures obsédantes et son engagement en faveur de la nature, sa claire tendance à l’animisme consistant à attribuer aux choses et aux phénomènes de la nature une âme analogue à l’âme humaine. Ainsi, tout est vie dans l’espace verbo-scripturaire de Sylvie Forestier :

« la flamme vive glisse » (p. 10), « le vent s’en prend au blé » (p. 13), « les arbres à nu pleurent » (p. 16), « Les murs se resserraient » (p. 20), « Les arbres de la forêt dardaient leurs armes branches » (p. 22), « Les branches (…) suçaient (…) le sang amer » (Ibid.), « Les racines surgissent » (p. 29) et « La vague serpente et se meurt/ dans le chant bruyant de la pierre gisante/ Des ondes se succèdent en longues intermittences. Des paysages sorciers sortent du fond des mers (…)/ Des formes s’échappent de la terre retournée/ et la pierre s’anime/ sous les rais du soleil palpitant/ incisif pénétrant… » (p. 41).

Comme chez le poète panthéiste Victor Hugo, tout respire, tout palpite, tout vit dans l’univers poétique de Sylvie Forestier et communique dans une belle symbiose. Le mouvement qui anime les choses anime aussi les vers dont se composent les poèmes de ce recueil et qui sont de volumétrie variable, s’allongeant, au gré de la fantaisie du poète ou suivant le rythme de sa rêverie, jusqu’à s’écrire sur plusieurs lignes et se raccourcissant jusqu’à se réduire à un seul mot ou à un syntagme unique. Le dynamisme et la continuité caractérisant le mouvement des vers sont servis aussi par l’effacement délibéré des marques pausales (Pas le moindre signe de ponctuation dans tout le recueil !) et même des numéros de pages (Nulle page n’est numérotée !). Car le chant forestier de ces « Sylves intérieures » n’a ni halte ni frontière et il est puissamment animé par l’inapaisable désir du poète de « chavirer dans les ténèbres des entrailles de l’être » (p. 41) pour voir, paradoxalement, « les brillances du soleil » (Ibid.), et de « se fondre dans la brume qui se fond » (ibid.) jusqu’à l’enchantement.
Pour terminer, cette poésie de Sylvie Forestier à la grâce insigne et entre toutes remarquable a largement mérité d’être publiée et, amplement, elle mérite d’être lue et déclamée.


Sylvie Forestier, « Les Sylves intérieures », Paris, éditions « les auteurs indépendants », 2018. Illustration de la couverture par l’autrice. ISBN 978-2-746 6-0265-6.

Sylvie Forestier est la petite-fille du peintre français de notoriété mondiale Paul Raymond Forestier dont elle a publié, en 2016, les aquarelles dans un livre d’art soigneusement édité par « carnets-Livres » sous le titre « Paris aquarellé » (ISBN : 2-916154-83-3). Elle a exercé comme enseignante de Lettres modernes, puis elle a œuvré à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs à Paris. Son long parcours artistique est jalonné de poèmes, de chansons, de contes, ainsi que d’expositions de collages et de peintures (Festival de l’Art de l’Imaginaire et du Fantastique de Beaumont-en-Auge, Festival Raymond Losserand, Espace Scribe l’Harmattan, Centre culturel La Clef, Marché de la Création, Espace « 32 », etc.). Elle a participé à la tenue de « Migraphonies », revue des littératures et musiques du monde. Récitante, elle s’est produite à l’Unesco en 2003 à l’occasion du spectacle « Mille et Un Poèmes pour l’Afghanistan », monté par Open Asia. Elle s’est produite aussi au Studio Raspail lors de représentations poétiques organisées par Anne-Marie Bence, rédactrice en chef de la revue Missives. Plusieurs de ses textes ont paru dans les revues Poezia, Doïna et dans l’anthologie « Voix sans frontières ».

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