Les gens de culture, ces pragmatiques

Editorial La Presse

LES années passent, le budget du ministère des Affaires culturelles fait du surplace. Et s’il augmente, c’est à pas de fourmi. Jugez-en par vous-même : 341 millions de dinars pour 2020; 358,400 millions de dinars pour 2021 et 372 millions de dinars au titre de l’année 2022. Une augmentation de l’ordre de 2%. Un record en ces années de vaches maigres. Inutile d’en vouloir aux grands trésoriers de l’Etat. De l’argent, il n’y en a pas. Certains ministères sont de loin moins bien lotis, tel celui de l’Environnement qui a vu son budget chuter de -72%. C’est dire !

Malgré la rareté des ressources, donc, la scène culturelle vit un formidable bouillonnement. Chercher l’erreur ! Cette effervescence ne serait pas tant due aux finances, lesquelles sont en mesure de revigorer n’importe quel domaine d’activité moribond qu’au souffle de liberté qui traverse la Tunisie de part en part, depuis 2010, et ne cesse de le faire.

Le secteur des arts et de la culture a su tirer profit de la révolution qui a favorisé l’épanouissement individuel pour devenir une source de délivrance des consciences et des talents.

Le cinéma tunisien est présent dans les plus importantes manifestations mondiales et rafle des prix. Pourtant produire un film coûte cher. Cela n’a pas empêché les producteurs, les réalisateurs et les acteurs de travailler d’arrache-pied, avec peu de moyens, pour permettre à l’exception tunisienne de s’exprimer sur la scène cinématographique internationale.

Idem pour le théâtre ou encore la musique. Les groupes de rap, entre autres, poussent comme des champignons. Quelques chanteurs ont même réussi à s’imposer en dehors des frontières. Grands comme petits fredonnent des refrains devenus cultes.

Peut-on en dire autant de la politique ? Le vent de liberté se répandant sur les terres tunisiennes pour les libérer d’un joug abominable a-t-il profité aux dirigeants de tous bords ?

Les hommes, et dans une moindre mesure les femmes politiques, n’ont pas su manifestement convertir la liberté, cette aubaine, en résultats concrets en termes de croissance, de développement et de bien-être. Depuis plus d’une décennie, au contraire, ils s’enlisent dans des disputes compromettant toutes les avancées. Trop occupés par des querelles si importantes soient-elles, ils ont fini par perdre de vue l’essentiel.

Le résultat ne s’est pas fait attendre. Endettements, croissances en berne, caisses vides, explosions des prix, sans qu’une personne ni un groupe ne soit en mesure de stopper cette descente aux enfers.

Au lieu de faire une trêve pour sauver le pays, les dirigeants politiques qui semblent s’accommoder de cet état de fait persévèrent dans l’erreur.

Là où les artistes réputés être des rêveurs contemplatifs et idéalistes ont su récolter les fruits d’une liberté aussi complète qu’inattendue, les politiques, eux, supposés être des gens raisonnables et pragmatiques, n’ayant pas su tirer les meilleurs dividendes de la révolution, ont lamentablement échoué.

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