Ridha Chiba, conseiller international en exportation à La Presse : «Les sociétés en faillite ou en difficulté doivent être une priorité nationale»

Plusieurs entreprises économiques importantes, qui ont été cédées par l’Etat tunisien aux privés afin de les promouvoir et leur assurer une pérennité, demeurent actuellement fermées. D’autres sont toujours en difficulté économique et financière. Evidemment, les employés des entreprises fermées vivent dans l’expectative de voir un jour leurs usines rouvrir. En chômage, ils luttent pour survivre. Les employés des entreprises en difficulté, eux, espèrent que leurs entreprises se réhabilitent et surmontent tous les obstacles économiques et financiers en vue de réaliser les meilleures performances. Pour plus de clarté et d’explication, nous avons contacté Ridha Chiba, conseiller international en exportation, pour nous expliquer cette situation, qui demeure encore en suspens, et nous présenter les éventuelles solutions à envisager pour relancer ces entreprises, considérées auparavant comme étant leaders dans leurs domaines. Interview.

Comment se présente actuellement la situation des entreprises tunisiennes, qu’elles soient en faillite ou en difficulté financière ?

A vrai dire, la situation des entreprises est très délicate, voire critique, aussi bien celles cédées par l’Etat aux secteur privé ou celles en cession d’activité. Les employés sont en chômage depuis environ deux années, malgré les manifestations et les différentes réunions organisées entre les responsables de ces entreprises, sous l’égide de l’Ugtt et les responsables des autorités régionales et gouvernementales.

La fermeture de ces entreprises se prolonge davantage et leurs employés souffrent pour subsister. Ils sont face à une voie sans issue malgré les diverses promesses émanant des différents intervenants. La centrale syndicale se trouve réellement dans l’impossibilité d’envisager la moindre solution permettant la réouverture de ces entreprises importantes. Cette situation floue et sans aucun résultat palpable a rendu les employés au chômage forcé dans une situation d’impécuniosité et de besoin absolu.

Evidemment, cela a des répercussions sociales néfastes sur la vie de leurs familles. Et la passation devant les juridictions compétentes a freiné sincèrement la lutte quotidienne des employés pour revenir à leur travail et des entreprises auxquelles ils appartiennent à leurs activités normales.

Comment l’Etat tunisien a-t-il cédé ces entreprises aux privés ?

D’emblée, nous considérons que la cession de ces entreprises, soi-disant dans le cadre de la «privatisation», était une grande erreur, parce que leurs ventes n’étaient pas basées sur des critères valables et convaincants. Bien au contraire, la plupart des acquéreurs étaient des personnes proches de l’ancien régime. Ces ventes ont été assurées par la Carepp (La Commission d’assainissement et de restructuration des entreprises à participation publique) qui a été créée en vertu de l’article 24 de la loi n°89-9 du 1er février 1989. La Carepp est chargée, selon les dispositions de la loi susvisée, «de donner son avis sur les opérations de cession ou d’échanges d’actions détenus par l’Etat, de fusion, d’absorption ou de scission d’entreprises dans lesquelles l’Etat détient une participation directe au capital, en plus de la cession de tout élément d’actif susceptible de constituer une unité d’exploitation autonome dans une entreprise dans laquelle l’Etat détient une participation directe au capital».

La Carepp est présidée par le premier ministre et c’est elle qui a été à l’origine de la dilapidation de la plupart des entreprises publiques à des personnes ciblées et à des prix dérisoires, voire bradées en deçà de leurs valeurs réelles et sans la participation effective de concurrents de taille.

A notre avis, c’est un dossier très important que le gouvernement actuel doit absolument réexaminer, délimiter les responsabilités des personnes inculpées, voire récupérer toutes les entreprises qui n’ont pas réussi ou celles qui veulent changer partiellement ou totalement la vocation de l’activité initiale, ce qui constitue véritablement un enrichissement sans cause.

Comment concevez-vous les solutions pour les entreprises fermées et la réhabilitation des entreprises qui demeurent en difficulté ?

De prime abord, nous sollicitons les autorités nationales de procéder immédiatement à la réouverture des entreprises fermées et à la réhabilitation de celles qui sont en difficulté, quitte à ce qu’elles soient restituées à l’Etat, du moment qu’elles ont été vendues à des prix bradés à des gens qui n’ont pas su les gérer. Il est impératif de trouver des solutions à des entreprises, que leurs nouveaux propriétaires ont laissé s’écrouler, engendrant ainsi une véritable catastrophe industrielle et sociale pour le pays et surtout pour les employés.

L’Etat, l’Ugtt, les employés et la société civile doivent absolument être solidaires dans cette adversité et tenir bon pour sauver ces sociétés qui doivent devenir une affaire nationale, parce que cela constitue assurément une grande perte pour notre pays, car elles étaient les fleurons de l’économie tunisienne.

Ces sociétés ne doivent aucunement être des sociétés à vocation sociale au détriment de leur vocation économique. Elles doivent exploiter leurs plans de charge de la manière la plus optimale, c’est-à-dire utiliser tous les moyens dont elles disposent, à savoir les ressources humaines, financières, logistiques et de production, tout en passant par plusieurs étapes. La planification, l’organisation, la direction et le contrôle doivent être très bien étudiés. Et aussi selon une norme de qualité et un ordonnancement scrupuleux conformément à des objectifs allant de pair avec les attentes des clients et de tous les intervenants. Ainsi, ces entreprises doivent suivre les options suivantes. D’abord, le travail de toutes les entreprises fermées ou à réhabiliter doit être assuré conformément à une stratégie et des objectifs préalablement conçus et des organigrammes désignant les employés adéquats et le+++s différentes tâches qui doivent leur être assignées. Il est important d’investir dans les équipements qui vont améliorer la production et la productivité, créer une politique commerciale motivante. Ensuite, il faut contrôler rigoureusement le circuit de distribution, améliorer la qualité et concevoir de nouveaux produits allant de pair avec les attentes des clients, prévoir un programme de marketing attirant et efficient, et promouvoir l’exportation des produits tunisiens. Enfin, l’Etat doit absolument assister ces entreprises et les inciter à la création de la richesse aux moindres coûts.

Ces entreprises ne peuvent que consolider le tissu industriel en Tunisie, augmenter le taux d’évolution économique et accroître le PIB et le PNB. Par conséquent, elles ne doivent nullement être négligées par l’insouciance et l’indifférence de quiconque et quelles que soient les conditions.

Au lieu de solliciter des investissements étrangers pour l’implantation de sociétés étrangères sur le territoire tunisien, ne serait-il pas mieux pour l’Etat de rouvrir les sociétés fermées comme les AMS, Tunisie Lait… et d’assister les entreprises de grande envergure en difficulté pour qu’elles redémarrent convenablement et améliorent la croissance économique requise comme la Ciok (la Société des ciments d’Oum El Kélil), Elfouladh, la Rnta (la Régie nationale des tabacs et des allumettes), la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG)…

Que proposez-vous encore en guise de conclusion ?

Eu égard à la situation critique de l’économie tunisienne, l’Etat ne doit aucunement rester désengagé de ses responsabilités. Bien au contraire, il doit prendre les mesures strictes et nécessaires pour la réouverture des entreprises fermées et la participation pour la réhabilitation de toutes celles qui sont en difficulté. Il doit également lutter quotidiennement et impitoyablement sans relâche contre le commerce informel, la spéculation, l’inflation, l’importation des produits fabriqués en Tunisie, la contrebande, le dumping, les groupes de pression et contre tout ce qui peut nuire à notre pays et à notre peuple.

Finalement et pour terminer, nous affirmons que la croissance économique accrue d’un pays ne peut être réalisée que lorsqu’elle est accompagnée d’une réallocation des compétences et du personnel, des moyens matériels et financiers et des richesses d’une manière optimale pour atteindre les performances requises de toutes les entreprises opérant dans tous les domaines.

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