Dream City 2023 | «Bird», performance de Selma et Sofiane Ouissi : Sofiane Ouissi, l’artiste qui murmurait à l’oreille des pigeons

 

Avec «Bird», présenté au Dar Mohsen le long du festival Dream City 2023, Selma et Sofiane Ouissi, signent une performance habitée par les vols d’oiseaux. Un spectacle d’une grande liberté et d’une immense force poétique, qui l’espace d’une heure nous fait équitablement partager le monde avec le règne animal.

Ainsi est composée la scénographie de «Bird» : deux pigeons sur deux perchoirs, le plafond d’un ancien palais datant de la fin du XVIIIe siècle transformé en large volière, une planche presque aussi grande que le patio du Dar Mohsen, aux quatre segments égaux en guise de scène. Une scène comme un carré magique, avec juste quelques chiffres et signes griffonnés à la craie blanche. Est-ce la cryptographie d’un alphabet ésotérique et oublié ? Celui-là même que les hommes utilisaient pour converser avec le règne animal lorsqu’ils vivaient en harmonie avec la nature ? Bien avant que ne disparaissent, selon les macabres statistiques actuelles, un quart des populations d’oiseaux du monde occidental décimées par un abus de pesticides et surtout par l’insatiable appétit capitaliste ?

Le «Cantique des oiseaux»

Lorsque le danseur et coprésident de Dream City, Sofiane Ouissi, surgit, le spectateur va peu à peu décrypter l’énigme des composantes de cette scène insolite. L’artiste, comme dans une longue prière, va se rapprocher petit à petit de «Chams» et de «Tabriz», les deux pigeons aux noms évocateurs d’ambiances soufies, qui l’accompagnent dans sa performance. Il adopte leur gestuelle minimaliste, respecte leur silence, tente d’habiter leur monde. Ce monde, qui a livré certains de ses secrets depuis que des philosophes et éthologues ont donné la mesure de l’extraordinaire univers du «Cantique des oiseaux». Mais l’exercice n’est pas simple, il demande, comme dans la méditation, une maîtrise du souffle intérieur du danseur. Cet effort-là permet à Sofiane Ouissi de faire corps, pendant une longue séquence du spectacle, avec l’un des pigeons, qui comme aimanté par l’homme se pose sur sa tête. Et l’homme continue à danser, entre presque dans une transe rythmée par la darbouka, le bandir et la musique électronique de Jihad Khemiri… la tignasse piquée des plumes de l’animal. Fascinant !

Métaphore du temps de confinement

«En duo avec Selma, nous réfléchissons beaucoup au traitement de la scène. De plus en plus, nous nous éloignons d’une chorégraphie de la démonstration et de la représentativité en optant plutôt pour une construction du corps en phase avec l’instant présent. Nous croyons à la porosité entre la vie et la scène. La question qui se pose à nous est comment esthétiser d’une manière libre ces crises humaines, auxquelles nous sommes sensibles, comme l’écologie ou les migrations», explique Sofiane Ouissi.
«Bird» s’inscrit ainsi dans la philosophie de l’art «contextuel» prôné par Dream City, à savoir faire découvrir un large panel d’expressions artistiques en résonance avec les enjeux politiques, sociaux et économiques, qui traversent l’époque, ici et ailleurs.
Parce que, selon l’agencement artistique de «Bird», le corps de l’artiste ne peut se mouvoir que sur cette planche à la forme carrée, la performance se lit également comme une métaphore du temps de confinement, lorsque les humains se sont subitement trouvés en cage, sur le «perchoir» de leurs immeubles, et que les oiseaux ont recouvert leur liberté. Leurs chants ont alors de nouveau rempli le ciel et la nature d’un hymne à la joie rendu de nouveau possible grâce au ralentissement forcé de l’activité économique humaine.
La première inspiration de «Bird» vient de ce cinéma abandonné où se sont retranchés des milliers d’oiseaux à Charjah, aux Emirats arabes unis, où Hoor Al Qasimi, coprésidente de Dream City a mené un jour Selma et Sofiane Ouissi.
A Charjah, le frère et la sœur Ouissi, toujours aussi complices dans la vie comme dans la création, sont tombés sur un instrument musical étonnant, une jupe à base de griffes de bélier, «Al Menjel», qui claque lorsque le corps bouge. D’origine africaine, l’instrument que porte Sofiane Ouissi pendant la dernière partie de «Bird» fait de lui un percussionniste en même temps qu’un danseur. Le duo rend ainsi hommage à l’Afrique, riche de son patrimoine et en souffrance de par ses communautés en partance vers des cieux plus cléments. Quel animal plus adéquat pour symboliser un monde sans frontières, un crédo de Dream City, que les oiseaux migrateurs ? Encore une fois, le monde ornithologique montre le chemin. Pourrait-il un jour guider les humains ?

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