Hosni Zouaoui, ancien milieu défensif du CAB: «On nous a suffisamment menti !»


Il y a de l’amertume et beaucoup de frustration dans son expression. L’ancien capitaine et pivot international du Club Athlétique Bizertin, qui a été des premiers trophées cabistes, est aujourd’hui trop déçu par le football tunisien.


«Basta, on nous a suffisamment menti, crie Hosni Zouaoui. Où voient-ils le meilleur championnat du continent, les meilleurs joueurs, les meilleurs stades…? A les écouter, on reste bouche bée, on croit rêver».

Dans ce diagnostic d’une implacable froideur, il épingle la dernière campagne africaine de l’équipe de Tunisie : «Hé, réveillez-vous ! N’oublions pas qu’on a passé le premier tour avec 3 points, et qu’on a gagné un seul match sur sept, et devant qui? Madagascar, un néophyte du foot continental».

H.Zouaoui «fuit» carrément le foot national. Il part juste après l’Aïd chercher fortune en Arabie Saoudite où il va poursuivre son aventure d’entraîneur.

Hosni Zouaoui, dites-nous d’abord: nul n’est prophète en son pays, certes, mais on ne vous voit plus exercer votre métier d’entraîneur en Tunisie….

Ici, il n’y a plus rien. On nous gave de discours suaves et à l’eau de rose. On nous a suffisamment menti ! Un bilan, cela doit être objectif et sérieux. On attend toujours. Où voient-ils le meilleur championnat du continent, les meilleurs joueurs, les meilleurs stades…? A les écouter, on reste bouche bée, on croit rêver. Hé, réveillez-vous ! N’oublions pas qu’on a passé le premier tour avec 3 points, et qu’on a gagné un seul match sur sept, et devant qui? Madagascar, un néophyte du foot continental. Parlons justement de nos joueurs. Au lieu de percevoir 100 mille dinars, le plus coté d’entre eux, je ne le paierais même pas un millier de dinars. Sinon, combien devaient percevoir les Agrebi, Tarek, Dhouib, Temime… Dans notre sélection actuelle, je ne vois aucun joueur émerger du lot. Pas même Msakni devenu un joueur ordinaire. Quant aux gardiens, n’en parlons pas. Le pays d’Attouga est incapable d’enfanter un gardien «acceptable». Quelle déchéance !

Et la situation du CAB d’aujourd’hui, qu’en diriez-vous ?

Difficile à cerner, d’autant plus qu’un nouveau staff technique s’est installé. Le club a perdu beaucoup de cadres : Ouattara, Cissé, Ben Choug, Thamri, Mejri… On ne saura ce que vaut le CAB de la prochaine saison qu’après un bon moment. Surtout que l’attendent non seulement les compétitions locales, mais également la coupe arabe. Or, pour faire front à un tel calendrier, il faut disposer d’un effectif riche. En tout cas, il faut espérer que le début de saison ne sera dans la continuité de la fin de parcours catastrophique de l’exercice précédent.

Remontons presque un demi-siècle en arrière. Comment êtes-vous venu dans le foot ?

Je n’ai jamais pensé faire du sport. Je vivais à Menzel Bourguiba. Au lycée, j’avais des amis de Bizerte qui m’ont proposé d’aller participer à un tournoi interquartiers dans la capitale du Nord. Notre équipe, qui portait le nom d’un café «Le Maghreb», a remporté le tournoi. J’ai été élu meilleur joueur. Mohamed Salah Benzarti et Chedly Ouerdiane, qui supervisaient le tournoi, ont insisté afin que je signe pour le CAB. Mon frère Youssef travaillait à la STIR. J’ai fini par céder. Mon premier match, je l’ai joué contre… le SAMB, le club de ma ville natale. J’ai inscrit deux buts. Car il faut dire qu’au début, j’étais soit attaquant, soit régisseur.

Quels furent vos entraîneurs ?

Chez les jeunes, Mohamed Salah Benzarti et Ali Amri. Chez les seniors, Nedoklan, Larbi et Youssef Zouaoui, Mokhtar Tlili, Taoufik Ben Othmane, Mahmoud Bacha, Baccar Ben Miled, Nedovisa, Alexandre, Kulesza…

Vous avez le plus souvent évolué en tant que milieu de terrain défensif. Quelles sont les qualités d’un bon pivot ?

Je suis plutôt du genre polyvalent. J’ai occupé pratiquement tous les postes en défense. Mais c’est surtout en pivot que j’ai fait le plus gros de ma carrière. Les qualités requises à un tel poste de «porteur d’eau» s’appellent disponibilité constante, relance et anticipation, sens du marquage, placement…

Vous avez longtemps porté le brassard de capitaine. Une faveur ?

Pas du tout. Plutôt une responsabilité qu’il faut savoir mériter. Cela exige autorité, personnalité, une capacité à servir de courroie de transmission entre l’entraîneur et les joueurs…

Quel est votre meilleur but ?

Celui de l’accession face à la JSK (1-0) en 1999. J’ai repris d’un «ciseau» un corner des 16,50m.

Votre meilleur souvenir ?

Les premiers titres, que ce soit en championnat, en coupe de Tunisie ou en coupe d’Afrique. Il y a aussi le fait de représenter la Tunisie au Tournoi de Pékin, en Chine en 1984. Le CAB, qui venait de remporter le championnat, a pris la place de l’équipe nationale dont les activités étaient gelées suite aux Jeux méditerranéens de Casa. Nous avons perdu contre la sélection chinoise 2-1. Nous avons livré là-bas cinq rencontres.

Et le plus mauvais ?

Notre relégation en D2 après avoir perdu les barrages devant le CSHL. Il y a aussi la défaite dans la dernière journée contre le CA (2-1) dans un match qui valait le titre 1991-92. L’arbitre Neji Jouini nous a lésés ce jour-là. La pression était trop forte pour lui. Mhaïssi l’insultait sans qu’il bronche. Il y eut une expulsion injuste. Le coup franc qui a amené le but de la victoire clubiste devait être sifflé en notre faveur, et non contre nous.

Votre échec aux Jeux méditerranéens 1983 a été à l’origine du gel durant toute une année de la sélection nationale. Que s’est-il passé à Casa, au juste ?

La sélection marocaine a été favorisée en disputant son dernier match après le nôtre. Or, nous étions au coude-à-coude avec elle. Les conditions de séjour furent difficiles. Nous étions hébergés avec les autres sportifs de notre délégation à la Cité universitaire de Rabat. Je me rappelle du handballeur feu Habib Yagouta.  En fait, nous n’avons pas été si mauvais que cela. Notre entraîneur Riszard Kulesza, non plus. Mais la sélection manquait de motivation en notre temps, nous y vivions des temps d’austérité. En sélection, la prime de déplacement de Bizerte à Tunis était de tout juste cinq dinars.Les clubs avaient la primauté, on y bénéficiait de davantage d’encouragements.

Quels sont les meilleurs milieux défensifs tunisiens ?

Nejib Ghommidh, Mohamed Ben Mahmoud, Jamel Garna, Abderrazak Chahat, Mourad Gharbi…

Quel est le meilleur joueur de l’histoire du CAB ?

J’en citerais plusieurs : Driss Haddad, Abdeljelil Mahouachi, Larbi Baratli, Hamda Ben Doulet, Khaled Gasmi, Ghazi Limam, Mourad Gharbi…

Et le meilleur joueur tunisien de tous les temps ?

Le Clubiste Tahar Chaibi

Le football d’aujourd’hui vous attire-t-il toujours ?

Comment peut-il le faire alors que la violence est reine ? En notre temps, nous pratiquions le sport pour le sport. Le joueur n’osait pas s’opposer à son dirigeant, lui dire un mot de trop. Pourtant, le foot était prioritairement une occupation de «zoufris», de gens incultes ou mal éduqués. Du moins, c’était l’impression générale. Aujourd’hui, le foot est politisé et dominé par l’extrasportif. Des intérêts personnels sont en jeu. L’arbitre est constamment montré du doigt, à tort ou à raison. Pourtant, le sport doit rapprocher. A partir du moment où l’argent a souillé le sport, le talent et la moralité ont été sacrifiés.

Quels sont les joueurs les plus proches de vous ?

Dans chaque génération, il y en a un ou deux : Larbi Baratli, Othmane Mellouli, Hamda Ben Doulet, Mourad Gharbi, Mondher Almia, Ahmed Bourchada…

Y a-t-il un phénomène Zouaoui à Bizerte ?

Si l’on veut parler de la réussite des frères Youssef et Larbi Zouaoui, eh bien, il est admis que la réussite crée des ennemis. Et c’est le cas des frères Zouaoui, puisqu’il s’agit de deux grands techniciens qui ont fait carrière au plus haut niveau.

Que vous a apporté le sport ?

Un bien inestimable, à savoir la sympathie des gens. Là où je vais, je suis reçu à bras ouverts. Ce n’est qu’en devenant entraîneur que j’ai été gratifié matériellement par le sport. La plus grosse prime, je l’ai perçue en 1991-92. Nous avons perdu sur le fil le titre de champion arraché par le Club Africain. La prime était de 110 dinars pour une victoire à l’extérieur, et 70 D à domicile. En tout et pour tout, nous avons eu droit à 1.800 dinars.

Est-il facile d’allier sport et études?

Cela était possible en notre temps quand nous nous entraînions tout juste quatre fois par semaine. Il n’y avait pas deux à trois séances par jour comme présentement. D’ailleurs, il y eut énormément de footballeurs qui ont mené avec succès des études universitaires. Maintenant, il faut faire un choix: soit les études, soit le foot de haut niveau.

Vos parents vous ont-ils encouragé à pratiquer le foot ?

Non , j’ai joué au début à leur insu. Mon père Mohamed travaillait à l’arsenal de Menzel Bourguiba. Ma mère Jamila était davantage disposée à me voir jouer au foot mais elle craignait que je me blesse gravement. Nous étions huit dans la famille

Que représente pour vous le CAB ?

C’est ma vie. Ma grande famille. Le Stade Africain de Menzel Bourguiba est mon deuxième club même si je n’y ai pas évolué.

Que représente pour vous la famille ?

C’est quelque chose de sacré, toute mon existence. Je me suis marié en 1986 avec Samia. Nous avons trois enfants : Afef, 31 ans, commerçante, Mohamed Hassène, 28 ans, agent de Tunisavia, et Wael, 24 ans, employé dans une société d’articles sportifs. En fait, le foot exige des sacrifices infinis : entraînements, stages, blessures… J’ai arrêté de jouer à 36 ans, avant d’épouser une carrière d’entraîneur professionnel. C’est mon épouse qui s’est vraiment occupée de mes enfants. Je la remercie du fond du cœur. J’étais tout le temps pris par le football, privé des plaisirs auxquels s’adonne chaque jeune : veillées, cafés, rencontres des amis, plage… Maintenant, je dois repartir en Arabie Saoudite entraîner un club de D3, Al Abjadia, près de Ryadh.

Comment passez-vous votre temps libre ?

Je ne vais presque jamais au café. J’aime faire de la marche. Eté comme hiver, je vais à la plage. Je regarde le foot européen à la télé, notamment les championnats d’Espagne et d’Angleterre. Je n’ai pas de club préféré. J’écoute la musique d’Oum Kalthoum, Abdelwahab, Abdelhalim…

Enfin, si vous n’étiez pas dans le foot, dans quel autre domaine auriez-vous exercé ?

Je n’ai jamais pensé faire autre chose que le foot. C’est mon destin. Toutefois, je fais tout afin que mes enfants soient instruits et fassent autre chose que le foot qui est vraiment la galère. Sur une cinquantaine de joueurs Ecoles, il y aura peut-être un ou deux qui vont arriver jusqu’aux seniors. Les parents interviennent aujourd’hui pour imposer à l’entraîneur de faire jouer leurs enfants. Quitte à y mettre «le prix». La corruption est la gangrène du sport. Personnellement, je crois au mérite, c’est tout.

Propos recueillis par Tarak GHARBI

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