Utica : «Fémin’Art» : L’artisanat doit beaucoup aux femmes !


Le RDV de la création artisanale «Fémin’Art», qui a eu lieu au siège de l’Utica le 30 novembre et le 1er décembre 2019, concocté conjointement par le Groupe international des femmes de Tunisie (IWG), l’Office national de l’artisanat (ONA) et la Chambre nationale des femmes cheffes d’entreprises (Cnfce), a été l’occasion pour plus d’une centaine d’exposantes —et d’exposants—, de dévoiler leur mérite en matière d’artisanat dans d’innombrables filières et spécialités.


Outre l’exposition-vente, organisée en l’honneur des pays de l’Asie, deux expositions-ventes ont été implantées dans l’optique de mettre en lumière aussi bien le savoir-faire traditionnel revisité, auquel s’appliquent les femmes cheffes d’entreprise artisanales, que les produits du terroir, lesquels rivalisent, de plus en plus, avec ceux de l’agroalimentaire et de la cosmétique conventionnelle.

Costumes et accessoires : les concevoir autrement !
La plus grande salle d’exposition a été dédiée aux artisanes spécialisées dans la pérennité et la revisite des costumes, du tissage et des accessoires tunisiens. Mme Awatef Youssef est une jeune cheffe d’entreprise active depuis 2016. Elle a choisi de miser sur la valorisation des feuilles du palmier en les utilisant comme matière première essentielle à la conception de sacs à main hors pair. Ses créations se résument en des sacs à main conçus en feuilles de palmiers teintées, prenant différentes formes (carrées, rectangulaires, rondes, ovales, en demi-lune).
L’élégance et le raffinement de ses créations sont rehaussés par des poignets en bois hêtre et par des motifs en cuir véritable, peint et orné de plusieurs motifs inspirés du patrimoine, à l’instar des calligraphies arabesques, des formes géométriques typiques du «margoum» ainsi que du fameux bleu, spécifique au village classé comme patrimoine mondial, à savoir Sidi Bou Saïd.

«Je participe à ce salon pour la deuxième fois consécutive. Il faut dire que pour commercialiser mes créations, j’use des réseaux sociaux, notamment une page personnalisée sur Facebook et sur Instagram. J’assure en effet des livraisons à domicile envers toutes les régions. La visibilité et la commercialisation de mes créations à l’étranger se font via la collaboration avec certaines boutiques internationales. L’exportation s’avère, jusque-là, une démarche épineuse qui nécessite de surmonter moult obstacles», a-t-elle indiqué. Consciente de son mérite, Awatef ne semble point gênée par les tentatives d’imitation de ses créations par d’autres artisanes. La qualité, la finition et la valeur de ses sacs à main parlent d’elles-mêmes. Ses créations sont proposées à des prix variant de 150 à 230dt.

Chéchia ou chapeau ?
Un peu plus loin se trouve le stand de M. Farid Bhar, l’un des artisans spécialisés dans la fabrication de la chéchia ; ce couvre-chef tunisien qui peine à connaître une relance salvatrice depuis plus de dix ans… Cet artisan s’applique, bec et ongles, à convertir ce couvre-chef traditionnel, en des couvre-chefs à la mode. Ayant tenté, au préalable de transformer la chéchia en une casquette spécial hiver, en des chéchias pour femmes, il use désormais de ce bonnet pas comme les autres pour le transformer en un chapeau digne de cette appellation. «Mon objectif étant de valoriser la chéchia traditionnelle en la modernisant. Aussi, des chapeaux à base de chéchia sont-ils proposés aux femmes ; des chapeaux garnis de roses, de plumes et d’autres accessoires, susceptibles de séduire les clientes, notamment les touristes», a-t-il indiqué. Le prix de ces chéchias-chapeaux est de 50dt.

Mme Thouraya Zayanni et M. Béchir Yahmadi ont loué un stand en commun pour présenter leurs créations respectives. Mme Zayanni est artisane spécialisée dans le costume traditionnel féminin revisité. Elle est active dans ce domaine depuis une bonne vingtaine d’années. Entre-temps, elle a compris que pour séduire la clientèle, il convient de moderniser le costume traditionnel afin qu’il s’adapte à la mode en vogue. «Ce burnous, par exemple, n’est pas tout à fait traditionnel puisqu’il est à cheval entre le burnous et la cape. Certes, mais ses broderies sont en fil d’argent plaqué or, ce qui lui vaut sa valeur estimée à 700dt», a-t-elle précisé.
Elle propose aussi des «kachabiya» simplistes, semblables à des manteaux sport-chic, dont le revers peut aussi servir d’un manteau d’une couleur tout à fait différente. Elles sont à 250dt. «Je propose aussi la «farmla» que j’ai revisitée de telle sorte à ce qu’elle soit plus longue et qu’elle ait des manches tout en préservant la broderie typique dite «tal». La «souriya» traditionnelle, faite généralement, à partir de la broderie dite «riti», est proposée à base de broderie «chabka» pour la rendre plus abordable. Elle coûte 300dt», a-t-elle ajouté.

Matières premières inaccessibles
Quant à M. Béchir Yahmadi, il offre aux visiteurs une série de «jebbas» tunisiennes spécial hiver, fabriquées à partir de tissus nobles comme le cachemire, la laine, la flanelle et brodée de soie mais aussi des «burnous» et des «farmla». Pour lui, son métier semble être des plus menacés en raison de l’abstention des jeunes à s’adonner à cette spécialité, laquelle nécessite patience et persévérance. Pis encore : pour lui comme pour Mme Zayanni, la matière première indispensable à la confection du costume traditionnel se fait de plus en plus rare, car purement importée.

«Le cachemire provient de Suisse. Les bandes de fil en soie ainsi que certains tissus en soie adaptés à la «farmla» nous provenaient de Syrie. Du coup, s’approvisionner en matière première devient un véritable calvaire pour les artisans en raison de sa rareté et de sa cherté», a-t-il avoué.
Mme Zayanni a saisi l’occasion pour dénoncer l’absence d’appui de la part des parties concernées, censées soutenir les artisans et les aider à améliorer la visibilité de leurs créations à l’échelle internationale. «J’ai eu l’occasion de participer à des salons internationaux et j’avoue que les frais douaniers et le problème de transport de la marchandise m’ont coûté plus que les frais du stand, ce que je trouve honteux», a-t-elle ajouté, indignée.

Les trésors du terroir tunisien
En quittant l’espace d’exposition dédié aux costumes et aux accessoires, le visiteur se trouve dans un autre univers, un autre concept tout aussi intéressant et éblouissant. Il s’agit de l’exposition-vente des produits du terroir. Une panoplie de produits tunisiens à caractère bio a été exposée soigneusement. Mme Raja Ben Miled est membre de la Cnfce et cheffe d’entreprise en agroalimenatire à Béja. Lors de la 2e édition du Concours national des produits du terroir, elle a su décrocher trois médailles : une médaille d’or, une argent et une bronze comme reconnaissance de la qualité de ses produits.

«Mon entreprise est spécialisée dans la préparation des confitures et des bonbons 100% naturels. Je prends du plaisir, en effet, à faire l’alliance de deux fruits pour obtenir des confitures aux goûts exceptionnels, comme la confiture à base de pomme et de bergamote, d’orange et de cannelle, de grenade et de fruits secs et bien d’autres recettes encore. Cette année, je présente mon nouveau produit, à savoir la «laklouka» faite à base de sorgho et de bsissa à laquelle j’ai ajouté du raisin sec», a-t-elle indiqué.

S’agissant de son intention de présenter ses produits sur le marché mondial, Mme Ben Miled ne cache pas sa réticence bien qu’il s’agisse d’un rêve auquel elle aspire de tout cœur. «Etant membre du Cnfce, je peux vous dire que nous avons organisé cinq forums avec le Cepex dans l’optique de promouvoir l’exportation des produits des femmes cheffes d’entreprise. Or, sur le plan financier, —et outre les exigences du marché mondial en matière de certifications et de traçabilité—, ce rêve implique beaucoup de dépenses, soit 60 mille dinars par artisane. Nous avons pensé à former des réseaux comptant trois entreprises œuvrant dans une même filière mais cela reste, tout de même, assez cher en comparaison avec nos moyens», a-t-elle expliqué. Cela dit, cette artisane s’active à sa manière afin que ses produits puissent accéder au marché mondial, notamment en Russie, au Canada, à Oman et en Australie.

Un peu plus loin, se trouve le stand de Mme Amel Kacem, artisane spécialisée dans l’extraction des huiles essentielles, de la distillation des fleurs autochtones à la région de Zaghouan dont le fameux «nesri» ou l’eau des fleurs de l’églantier. Elle propose aussi des savons naturels, des masques, des crèmes et autres produits cosmétiques bios. Active depuis à peine une année, cette femme ne ménage aucun effort pour s’imposer sur le marché en participant aux foires et en s’informant, régulièrement, sur les événements auxquels elle peut marquer sa présence. «Dans ma région, indique-t-elle, il faut requérir l’information afin de rester au diapason de l’actualité du secteur. Pour ma part, j’exploite deux hectares pour y cultiver les plantes aromatiques. Et c’est à partir de plantes autochtones comme le romarin, le thym, les roses, les fleurs d’églantier et autres que j’extrais les huiles essentielles que je propose à des prix allant de 150 à 180dt le litre. Pour les savons naturels, ils coûtent entre 2 et 15dt. Quant à l’eau des fleurs de l’églantier dites «aarbi», je la propose à 60dt le litre».

Appel à l’encadrement et à l’appui!
A peine le pied mis à l’étrier, Mme Kacem ambitionne de voir ses produits conquérir des marchés internationaux. Mais pour y parvenir, beaucoup reste à faire aussi bien de sa part que de la part des parties concernées. «Je lance un appel insistant aux parties concernées pour mieux nous orienter vers les procédures et les exigences liées à l’exportation. Le marché américain, par exemple, signifie un grand intérêt pour les produits du terroir. Cependant, il exige moult critères. Aussi, les parties concernées sont-elles sollicitées pour nous aider dans notre parcours de débutantes, quitte à nous prendre en charge pendant deux ans et de nous ouvrir la voie vers de nouveaux horizons», a-t-elle souligné.

Elle a également attiré l’attention sur l’importance de soutenir les artisanes dans les tests d’analyse desdits produits lesquelles confirment ou infirment leur conformité aux normes internationales ; des tests qui, selon ses dires, coûtent cher. Pour Mme Kacem, l’appui des parties concernées devrait désormais prendre un nouveau tournant. «Certes, nous sommes conviés à participer à des salons mondiaux. Néanmoins, ces participations nécessitent beaucoup d’argent, soit 4.000 dinars pour la location du stand et 2.000 dinars pour les frais de participation ce qui est hors de portée pour des artisans débutants», a-t-elle ajouté.

En visitant cette exposition-vente spécial produits du terroir, il est aisé de distinguer le potentiel tunisien en matière de valorisation de ces produits ; des produits qui valent la peine d’être boostés et de bénéficier de plans stratégiques en guise d’appui —effectif— à l’exportation, surtout que certaines enseignes se plient aux conditions dévalorisantes des revendeurs internationaux, qui acceptent d’acheter les produits à bas prix pour les vendre nettement plus chers sous de fausses enseignes…

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