Le souffle mythique nourrit le travail et en est l’essence même, le texte le nourrit, le peuple et l’inspire. L’écriture se fait de corps légers, de danses et d’élévation, la parole est lettre et la lettre fait corps avec la lumière. De l’obscurité à la lumière le passage par le clair-obscur en est le chemin.

Mettre en scène « La conférence des oiseaux » n’est pas une mince affaire, le texte est hermétique et énigmatique, sa pensée est philosophique et sa portée est existentielle. La relation avec le divin est toujours houleuse et la relation que nous établissons avec lui n’est qu’un parcours individuel. C’est ce qui nous est parvenu du travail théâtral que nous a proposé Naoufel Azara, un chemin que probablement lui aussi est en train d’emprunter pour saisir le sens de l’absolu.

Mais, tout d’abord, quelques repères sont probablement nécessaires dans la compréhension de cette œuvre. : «La conférence des oiseaux» est un recueil de poèmes du 12 XIIe siècle, écrit en langue persane par le maître soufi Farid Eddine Attar. Cette une allégorie d’environ 4.500 vers d’un cheikh ou maître soufi conduisant ses élèves à l’illumination.  La fable raconte l’histoire d’une bande de trente oiseaux sous les directives d’une huppe à la recherche de l’être absolu «leur roi». Emaillé de contes, d’anecdotes, de paroles de saints, le voyage des oiseaux doit traverser sept vallées pour atteindre son but. Chaque étape représente une phase dans le chemin vers l’accomplissement de l’être pur : commençant par la recherche, la passion, le détachement, l’unicité de Dieu, la stupéfaction et la pauvreté et l’anéantissement qui sont les étapes que les soufis traversent pour atteindre la vraie nature de Dieu. Dans ce texte, Attar expose aux lecteurs la doctrine soufie selon laquelle Dieu n’est pas extérieur ou en dehors de l’univers. Il est plutôt la totalité de l’existence.

«La conférence des oiseaux» de Naoufel Azara

Tous ces éléments relatifs au texte rendent l’intention de mise en scène difficile. Mais le fait de saisir l’identification qui s’opère entre le metteur en scène et le propos de l’œuvre qui est un même cheminement vers cette quête de l’absolu rend l’écriture plus harmonieuse et pas du tout invasive. Le metteur en scène, lui-même comédien dans ce travail, s’inscrit dans la logique du texte et fait corps avec lui, il en explore les sens et les tournures, mais également l’esprit et le raisonnement. Il nous fait même entraîner dans cet univers avec une approche spirituelle qui nous entoure et nous engloutit.

Ce souffle mystique est porté par une atmosphère nébuleuse et  nous interpelle par ses codes, ses signes nourrissant des sentiments insaisissants entre peur, stupeur, curiosité, inquiétude, paix et quiétude.

Le texte est un point de départ, un socle sur lequel se posent la réflexion et la démarche, il est aussi l’enveloppe d’une œuvre qui se dessine et prend forme.

Des 30 oiseaux de Farid Eddine Attar, Naoufel Azara n’en retient que cinq.  L’oiseau qui est le symbole de celui qui est capable de quitter la terre ferme vers le ciel, puis d’y revenir. Et avec le travail des voix, des corps et de la lumière nous nous retrouvons face à un cadre construit comme une miniature, chaque élément y apporte du sens.

Dans cette mise en scène ou mise en espace de l’œuvre et son essence, nous assistons à une élévation du religieux vers ce mysticisme qui nous est étrange au même titre qu’objet de désir. Et l’ensemble se transforme en chorégraphie faites de mouvements rituels. Les voix qui s’élèvent donnent une résonance et font échos de ces impulsions transcendantes. Le corps devient vibrant, fébrile la quiétude et la pureté sont au bout du chemin.

De cet exercice qui puise dans la spiritualité, Naoufel Azara emprunte une autre technique qui est mime ; et les corps, qui dessinent les contours des oiseaux, portent le jeu vers une autre écriture. Reste que ces moments dansés sont de véritables moments de rencontre avec le divin, une élévation dans la répétition, un dessin dans la transe et une communion dans la lumière. Cette lumière qui traverse sans éclairer, qui découpe le mouvement sans le dévoiler, une lumière dans laquelle on s’installe et qu’on approche sans oser s’en approprier.

«La conférence des oiseaux » est un souffle mythique qui nourrit la scène, il en est l’essence même, le texte le nourrit, le peuple et l’inspire. L’écriture se fait de corps légers, de danses et d’élévation, la parole est lettre et la lettre fait corps avec la lumière. De l’obscurité à la lumière le passage par le clair-obscur en est le chemin.

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