Le débat enfle autour de l’application de la peine capitale face à la montée de la criminalité et de la violence : Un moratoire sous haute pression

Pas un jour ne se passe sans apporter son lot de surprises en matière de crime dans la Tunisie post-révolution. La montée exponentielle de la violence a fait découvrir aux Tunisiens le visage hideux du grand banditisme et, plus que jamais, le débat enfle autour de l’application de la peine capitale devant le sentiment d’impunité qui gagne du terrain du côté des délinquants. En dépit d’une nouvelle Constitution en 2014 autorisant la condamnation par la peine capitale, un moratoire observé par l’Etat tunisien a évité l’exécution aux condamnés à mort. La dernière application de cette peine remonte à l’aube du 17 novembre 1990, il s’agit du tueur en série de Nabeul, le tristement célèbre Naceur Damergi.

De la jeune fille Rahma, ravie à la fleur de l’âge, charmante et souriante, égorgée et violée à Ain Zaghouan  par un délinquant qui vient de quitter la prison, à la nonagénaire agressée et violée chez elle à Kairouan, en passant par ce mari qui enterre sa femme vivante après l’avoir volontairement percutée par sa voiture, la couturière Haifa, poignardée par son amie pour quelques billets d’argent, les crimes atroces enregistrés depuis quelques années sont en rapport notamment avec la montée du chômage, la marginalisation des jeunes, le marasme économique, les tensions sociales, le sentiment d’impunité qui gagne du terrain dans un Etat en déliquescence, la consommation de produits psychotropes  et bien d’autres facteurs liés à la démission des parents  et la défaillance du système éducatif en bas âge.

Insécurité et angoisse

Certains observateurs pointent un ensauvagement post-révolution de la société tunisienne qui cède aujourd’hui la place à la peur. « Il y a comme une absence de limites. Tout est permis dans la Tunisie d’aujourd’hui », déplore l’écrivaine et l’universitaire Olfa Youssef, dans un poste publié sur sa page officielle Facebook, ce qui explique la montée du crime et de la violence. « Des menaces et des insultes sur les réseaux sociaux, des citoyens qui bloquent la production de phosphate et d’autres  qui barrent les routes. Le pouvoir en place observe sans intervenir. En l’absence de l’Etat, c’est la loi de la jungle qui règne », regrette-t-elle.

Un peu exagéré, diriez-vous? Pas du tout? La majorité des Tunisiens vit dans la peur. La peur d’être braqué de jour comme de nuit devant le regard médusé d’une foule indolente, la peur des femmes d’être violées puis égorgées. Le sentiment de sécurité d’antan s’estompe de plus en plus même quand on est chez soi, la porte fermée à double tour. Le manque de moyens mis à la disposition des unités de police, l’instabilité à la tête de certaines directions sécuritaires incontournables dans la lutte contre les crimes  et la délinquance juvénile, le non-renforcement du dispositif juridique et la non-adoption du projet de loi de protection des forces armées par l’Assemblée des représentants du peuple s’ajoutent aux multiples facteurs endogènes et exogènes qui ne font que tétaniser les efforts de lutte contre la montée de la criminalité dans le pays. Des syndicats de la police n’ont pas hésité à expliquer la montée du crime par la marginalisation de l’appareil sécuritaire et la non-application des lois dissuasives.

Mais là où le bât blesse, le citoyen n’a pas le droit à certains moyens susceptibles de le protéger et de dissuader le ou les agresseurs, comme la bombe de défense qui est bizarrement prohibée en Tunisie. Rappelons-nous la jeune Amina Sboui qui fut condamnée à une amende de 300 dinars pour le port d’une bombe de défense lacrymogène  en juillet 2013. Il faut donc s’armer de la baraka de Sidi Mehrez en Tunisie pour sortir indemne d’un braquage.

Cherche criminologues désespérément

Outre les raisons précitées qui ont conduit inéluctablement à la montée de la criminalité en Tunisie, il y a lieu de citer l’absence d’études scientifiques sur la nature et sur les causes du crime du point de vue social et du comportement individuel. Cela  n’a fait que rendre plus difficile le traitement de cette gangrène. Les psychologues  spécialisés dans la criminalité manquent le plus souvent de visibilité et c’est malheureusement le plus souvent aux solutions sécuritaires qu’on a le plus souvent recours. Un nouveau master sur la criminologie et la prévention de la déviance à la faculté des Sciences humaines et sociales de Tunis est venu combler un grand vide depuis l’année universitaire en cours.

De bon augure pour la lutte contre le crime. On comptera assurément dans les années à venir sur la compétence et l’expérience de nouveaux criminologues en Tunisie qui sauront se pencher sur la causalité du crime et les milieux criminogènes. Mais ce ne sera pas pour demain. Les citoyens doivent s’armer de patience et de vigilance pour ne pas tomber nez à nez avec des malfrats et des délinquants qui n’hésiteront pas, sous l’effet de produits psychotropes, à vous faire passer de vie à trépas  pour un téléphone portable ou une modique somme d’argent.

Le tueur en série Naceur Damergi, pour ceux qui ne le connaissaient pas, est né en prison. Sa mère était en détention pour prostitution. Il n’a connu son père qu’à l’âge de 13 ans et a été exécuté par pendaison après avoir violé et assassiné treize mineurs à Nabeul.  « Que Dieu me pardonne », furent ses derniers mots, selon l’un des gardiens de la prison. Comme tant d’autres criminels et tueurs qui ont fini par être condamnés à mort, Damergi n’a connu que la prison et la délinquance et a subi lui-même la violence, la frustration et l’exclusion depuis son bas âge, mais personne ne s’intéresse au passé d’un criminel et à la manière de le faire sortir du bourbier de la criminalité, la pauvreté et l’exclusion sociale.

La solution dans la peine capitale?

Les fervents défenseurs de l’abolition de la peine de mort, à l’exemple de la Coalition tunisienne contre la peine de mort, la Ligue des droits de l’Homme, les Femmes démocrates et d’autres ONG  ont vite riposté aux campagnes émanant de certains citoyens et même de quelques députés  appelant à la restauration de l’application de la peine capitale dans le pays suite à l’augmentation des actes de crime.

Ainsi, le député Mabrouk Korchid a pointé du doigt la recrudescence du crime dans le pays (viol, assassinat, vol, violence) et a plaidé comme remède la restauration de la peine de mort dans son statut sur facebook. Mais pour les  organisations et les défenseurs des droits humains, cette peine «viole  un droit des plus fondamentaux, le droit à la vie. Il s’agit du châtiment le plus cruel, inhumain et dégradant qui soit». «Ceux qui ont perdu des êtres chers dans des crimes terribles ont le droit de voir les responsables rendre des comptes dans le cadre de procès équitables, sans recours à la peine de mort», souligne l’ONG Amnesty International. La peine capitale n’a pas d’effet plus dissuasif que la prison, argue A.I.  

Dans l’autre camp,  une marche en direction du Palais de Carthage a été organisée samedi dernier suite à l’assassinat de la jeune Rahma, en vue de faire entendre un autre son de cloche: « Il faut appliquer la peine capitale », ont scandé les participants. Le moratoire observé par la Tunisie sera-t-il toujours respecté?

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