Avant la crise liée au coronavirus, le monde entier faisait les yeux doux à l’Afrique. L’émergence d’une classe moyenne croissante dans des pays où le PIB faisait, parfois, une croissance galopante à deux chiffres, a suscité l’intérêt des grands groupes internationaux, mais aussi des opérateurs nationaux. Mais cette sollicitude dont a fait l’objet le continent africain est-elle toujours de mise, dans ce contexte d’incertitude et d’instabilité engendré par la crise Covid? Chaouki Jaballi, directeur de la Coopération avec l’Afrique au ministère du Commerce, nous répond.

-Depuis que la Tunisie a intégré le Comesa en 2019, y-a-t il eu une amélioration des échanges commerciaux avec les pays membres de cette zone de libre-échange?

Si on considère les chiffres de l’année 2020, on peut dire qu’il y a des signes précurseurs d’amélioration des échanges, et ce, malgré la crise sanitaire qui sévit à travers le globe  et  qui a engendré une baisse drastique  des échanges commerciaux avec tout le reste du monde. Les échanges avec le Comesa ont, en effet, évolué positivement de 8%. C’est une amélioration appréciable, compte tenu du contexte économique mondial très difficile. Mais elle n’est pas tout autant significative, dans la mesure où la répartition des exportations et des importations, selon les pays, donne toujours les mêmes proportions: L’Egypte et la Libye se taillent la part du lion et sont, ainsi, les premiers partenaires économiques africains de la Tunisie.

En effet, pour les échanges avec le Comesa, 90% des exportations sont à destination de la Libye (81%) et de l’Egypte (9%). Au niveau de l’import, 95% des importations proviennent de l’Egypte (13%) et de la Libye (82%). Les échanges avec les pays membres du Comesa ont été, de tout temps, répartis de cette manière.  Cela n’empêche qu’il y a certains pays comme le Madagascar et le Kenya, vers lesquels les exportations ont accusé, respectivement,  une évolution de 200% et de  300%.

-Qu’en est-il de l’intégration de la Zleca. La Tunisie n’a-t-elle pas toujours déposé les instruments de ratification ?

Le 22 juillet 2020, le Parlement  a ratifié l’accord d’adhésion à la Zleca. Les instruments de ratification ont été déposés le 27 novembre 2020 et on est devenu le 31e Etat membre de la Zleca. Sur le plan technique, on est toujours en phase de préparation des listes de l’offre tarifaire, en l’occurrence les produits à échanger et les services à libéraliser.

A quoi aspire la Tunisie, en intégrant ces zones de libre-échange? Est-ce qu’il y a des objectifs chiffrés ?

L’intégration de ces zones de libre-échange est un objectif en soi. Avant cela, il n’y avait aucun accord préférentiel avec les pays d’Afrique. Les exportations tunisiennes vers l’Afrique ne bénéficient d’aucun abattement tarifaire. À titre de rappel, le processus d’adhésion aux zones de libre-échange (le Comesa et la Zleca) a débuté en 2016 et a été achevé en 2020. Et en même temps, on avait demandé de conclure un accord avec la Cedeao. La participation de la Tunisie à l’élaboration de nouveaux  cadres juridiques instaurés par ces communautés économiques régionales ou continentales (Zleca) était une ambition. Notons également que le projet de la Zleca est progressif. La libéralisation des produits exportés s’étalera sur 10 ou même 13 ans pour certains pays. Mais il y a des études qui estiment que la Tunisie sera parmi les premiers pays à bénéficier de la Zleca et du Comesa étant donné que l’industrie tunisienne est diversifiée, par comparaison  avec la majorité des pays africains.

C’est-à-dire que les investisseurs, notamment industriels tunisiens, manifestent beaucoup d’intérêt à percer le marché africain?

Certainement il y a un intérêt pour l’Afrique. On entend parler de la volonté d’aller vers le marché africain, mais dans la pratique ce n’est pas toujours évident. Beaucoup d’opérateurs souhaitent pénétrer le marché africain, mais réellement, l’Union européenne demeure le premier partenaire économique avec une part de marché constante (entre 70% et 80%).

Justement, pourquoi on peine à diversifier les marchés ?

Les problèmes de logistique et de transport constituent la première barrière à l’accès au marché africain. En Afrique, le déficit d’infrastructure est important. La logistique et le transport sont la pierre angulaire de l’activité commerciale. S’il n’y a pas d’accès aisé via des plateformes logistiques ou des moyens de transport aérien et/ou maritime, cela va de soi que le volume des échanges ou même l’orientation globale d’aller vers le marché africain soient impactés. En se basant sur le feedback des opérateurs, on décèle également d’autres éléments qui entravent l’accès aux marchés d’Afrique subsaharienne. Tout d’abord, il y a le manque de financement des exportations qui est un élément important. Les entreprises tunisiennes se plaignent des difficultés de financement. Même s’il y a des outils et des mécanismes qui sont mis en place par l’Etat à travers le Cepex, (notamment des subventions du transport pour l’exploration du marché), il s’avère que ce n’est pas suffisant.

Les entreprises revendiquent la mise en place de lignes de crédits pour financer exclusivement l’export vers l’Afrique. Il y a aussi la rigidité de la réglementation de change et  la compétitivité des marchés africains. Les Subsahariens préfèrent la proximité. L’implantation et la recherche d’un partenaire local peuvent être, ainsi,  une des solutions à prôner pour  améliorer les exportations vers le marché subsaharien.

Et enfin, il y a ce qu’on appelle l’offre exportable. Est-ce que, nous, en tant qu’économie tunisienne, on est prêt à diversifier nos exportations ? Si la Tunisie veut monter dans les chaînes de valeur mondiale ou régionale, elle doit essentiellement innover et chercher des produits à forte valeur ajoutée pour pouvoir  bien s’y positionner.

Avant la crise Covid, on parlait beaucoup du potentiel économique de l’Afrique. Peut-on toujours miser sur le marché africain dans ce nouveau contexte marqué par l’instabilité et surtout par des velléités européennes de relocalisation ?

La crise Covid est, en premier lieu, une crise  sanitaire. Ses retombées économiques sont dévastatrices. Est-ce que les économies d’une manière  générale, et en particulier la Tunisie, sont en train de voir de nouvelles orientations  économiques, je ne suis pas sûr. Pour l’heure, tous les efforts sont orientés vers la lutte contre le virus et la limitation de sa propagation. 

Mais il sied de rappeler, à cet égard, qu’au niveau des instances spécialisées de l’Union africaine, notamment le Comesa, des lignes directrices ont été mises en place pour faciliter les échanges durant la période Covid, et cela concerne pratiquement tous les produits et spécifiquement les produits de santé (équipements et médicaments, etc). Il y a même eu la création d’une plateforme dédiée aux opérateurs au niveau du Comesa pour faciliter les échanges durant cette crise sanitaire.

Le ministre du Transport a, récemment, déclaré dans une interview accordée à une radio privée, que la réduction des vols ainsi que des représentations de Tunisair à l’étranger sont les nouvelles orientations de la compagnie aérienne.  Considérant  que les vols à destination de l’Afrique, notamment subsaharienne, ne sont pas rentables, de telles mesures ne constitueront-elles pas une barrière à l’accès au marché africain?

Tout d’abord, je ne crois pas qu’ils ne soient pas rentables. Je ne pense pas que les mesures de rationalisation des dépenses  de la compagnie  vont toucher les destinations africaines. Selon les informations dont je dispose, outre les liaisons classiques (avec les pays d’Europe),  les vols vers l’Afrique sont parmi les vols les plus rentables. Le cas échéant, les liaisons aériennes  qui existent n’ont pas réellement d’incidence sur les échanges commerciaux. Evidemment, le transport aérien est un levier très important, qui peut booster l’export. Par ailleurs, on souhaite qu’il y ait des vols cargo destinés exclusivement à l’export vers les pays d’Afrique subsaharienne.

Et on veut bien établir des liaisons aériennes avec les pays membres du Comesa. On est membre du Comesa alors qu’il n’existe aucun vol reliant la Tunisie à cette région. Pourquoi ne pas alors mettre en place des lignes ou faire des partenariats avec de grandes compagnies aériennes, comme Ethiopian Airline, pour ouvrir l’accès au marché de l’Afrique de l’Est.

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