Grandes réformes économiques | Hakim Ben Hammouda, ancien ministre des finances : «Nous allons avoir affaire à des négociations âpres et longues»

Plus d’une année  après l’apparition de la pandémie du coronavirus, c’est à une crise aux multiples visages que la Tunisie est confrontée. La pandémie a induit une commotion profonde sur l’économie nationale, et a lourdement pénalisé le tissu social. Malgré cela, la Tunisie essaie de tirer son épingle du jeu, notamment sur le plan international : elle entame activement des négociations auprès de ses partenaires et des institutions financières notamment le FMI et la BM pour la relance des investissements, et s’attend à un rebond relatif en 2021. Hakim Ben Hammouda, ancien ministre des Finances, nous livre sa lecture sur ce nouveau round des négociations et sa réflexion sur les conditions de reprise de l’activité économique. En voici la teneur.

Les négociations avec le FMI ont repris lundi dernier après la présentation d’un Programme des réformes  pour approbation. L’objectif étant d’avoir l’accord du Fonds pour  financer l’économie tunisienne. Quelle est votre lecture sur ces négociations ?  Avec cette situation contrastée (crise socioéconomique et sanitaire), qu’est-ce que vous attendez de ces discussions ?

D’abord, il était nécessaire de relancer ces négociations avec la fin de l’accord qui a couvert la période allant de 2016 à 2020. Cette attente a trop duré et il aurait probablement fallu lancer ces discussions immédiatement après la fin du dernier accord, il y a un an.

La situation économique difficile, nos fragilités économiques et un contexte incertain et critique du fait de la crise de la pandémie auraient dû nous inciter à entrer plus tôt dans les négociations afin de parvenir à des résultats qui auraient pu nous aider à faire face à la gravité de la situation financière de notre pays.

Nous entamons aujourd’hui ces discussions avec le couteau sur la gorge dans la mesure où nous sommes dans l’obligation de parvenir à des résultats probants dans des délais courts afin de faire face à la crise de nos finances publiques.

Quel crédit peut-on accorder  à l’idée selon laquelle le FMI pourrait revoir sa politique de soutien à l’économie tunisienne si le gouvernement n’entame pas dans l’urgence les réformes qui n’ont pas été adoptées jusqu’à aujourd’hui et accusent même un retard quant à la publication d’un certain nombre de lois ?

Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que nous sommes membres du FMI et cette institution ne pourra pas tourner le dos à l’un de ses pays membres. Mais, en même temps, le FMI sera exigeant dans ses demandes. Rappelons aussi que le FMI a beaucoup d’autres membres. Il craint qu’ils demandent à généraliser les avantages qu’il a accordés à l’un de ses membres.

Donc nous allons avoir affaire à des négociations âpres et longues. Il faut bien nous préparer aux niveaux techniques et politiques pour parvenir à un accord satisfaisant et réaliste.

Pensez-vous que les conditions actuelles et la situation politique conflictuelle  permettront une reprise économique durant les années à venir ?

La crise politique que nous traversons a des effets économiques et financiers. La sortie de cette crise et le rétablissement d’un nouveau contexte politique sont des conditions essentielles pour rétablir la confiance des acteurs économiques et la relance des investissements.

Notre économie, comme le reste de la planète, a subi de plein fouet les conséquences de la crise sanitaire l’an dernier et cela se prolonge cette année. Quel commentaire faites-vous sur l’évolution des indicateurs macroéconomiques en 2021 ?

Effectivement, notre économie a subi comme le reste du monde de plein fouet la crise de la Covid-19 et ses effets économiques, financiers et sociaux au cours de l’année 2020.

Les projections économiques de l’année 2021 montrent que la sortie de crise dépendra étroitement de l’avancement de la campagne de vaccination. D’ailleurs, ces projections montrent une forte reprise de la croissance globale aux Etats-Unis et en Chine. Mais l’Europe est encore à la traîne du fait des retards dans cette campagne. C’est pour cette raison que je mets l’accent dans mes interventions sur la nécessité d’accélérer cette campagne, car, en plus de la protection de la population, elle nous permettra d’entamer l’ère post-Covid et d’accélérer notre croissance.

Quel est votre scénario concernant la croissance en Tunisie en 2021 ?

J’ai évoqué trois scénarios pour l’avenir de la croissance en Tunisie. Le premier est celui d’un important effort d’assainissement des finances publiques avec le soutien des institutions internationales et notamment du FMI. Le second est celui de la poursuite de la dérive des finances publiques tout en maintenant l’engagement de l’Etat à respecter ses engagements. Le troisième est celui de la descente aux enfers et du scénario à la libanaise.

Ces trois scénarios montrent les difficultés de la situation économique dans notre pays et la nécessité d’entamer le travail de sauvetage au plus vite.

Le pays est aujourd’hui à la croisée des chemins, quelles sont les mesures économiques et sociales les plus urgentes à prendre pour éviter d’éventuelles tensions sociales ?

Je pense que nous avons besoin aujourd’hui d’une grande vision économique qui prenne en considération la nécessité de stabiliser les grands équilibres macroéconomiques et relancer la croissance et l’investissement.

Mais, en même temps, un important programme social est nécessaire pour mettre à niveau les secteurs sociaux comme la santé, mise à mal par la pandémie, et l’éduction et pour venir en aide aux couches sociales les plus défavorisées.

Quel est, selon vous, le meilleur modèle économique pour la Tunisie aujourd’hui ?

Il n’y a pas un bon modèle dans l’absolu. Les pays doivent définir leurs modèles en prenant en considération leur contexte économique et social.  La Tunisie a toujours réussi à inventer des modèles de développement spécifiques qui répondent à ces défis de développement et aux attentes de son peuple. Il y a eu le modèle coopératif dans les années 1960. Ensuite, le modèle d’ouverture sur le monde.

C’est à nous aujourd’hui d’inventer un nouveau modèle qui permettra d’ouvrir de nouvelles perspectives à notre économie.

La situation des entreprises publiques n’a cessé de se détériorer chaque jour face à un volume d’investissement et un taux de croissance qui sont en train de baisser également. Certains estiment que le redressement de notre économie dépendra de la bonne santé des entreprises publiques ? Partagez-vous cet avis ?

En dépit de leurs difficultés, le projet de réforme des entreprises publiques n’a jamais été pris au sérieux par les différents gouvernements. Je crois qu’il est temps de le faire avec le sérieux, l’engagement et surtout l’expertise et le professionnalisme nécessaires.

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