Marianne Catzaras au « Violon Bleu » : L’impossible voyage

Marianne est femme de l’entre-deux : entre deux mers, entre deux ports, entre deux pays, entre deux langues. On pourrait continuer longtemps à essayer de la cerner sans y réussir : elle est aussi celle de l’entre-deux messages, celui du regard et celui du verbe. Elle-même, semble-t-il, ne se décidera jamais à choisir, et continuera longtemps à naviguer dans cet entre-deux qui est à la frange du concret, et qui offre toutes les possibilités de prendre le large à tout moment.

Peut-être est-ce pour exorciser cette mouvance, ce non- lieu qu’elle a inventé ce voyageur immobile. L’homme, qui est l’argument et le fil conducteur de l’exposition de photos qu’elle présente actuellement à la galerie « Le Violon Bleu », est un rêve de voyage, un souhait d’accostage. Mais pour accoster, il faut savoir partir. Et lui, contrairement à Marianne, ne sait pas. Son ombre sur le quai se projette sur l’exposition : regard solitaire, il assiste à l’arrivée des bateaux,  des bateaux fantômes qui débarquent des statues racontant l’histoire de l’humanité. Ces statues ne sont pas présentées selon la statuaire classique, loin de la majesté qui leur est habituellement conférée. Elles sont bousculées, entassées, accumulées, renversées. Leurs visages figés dans le marbre, leurs gestes frappés dans le métal, racontent à cet homme qui les regarde, qui est nous peut-être, l’histoire des hommes : les pleurs, les espérances, la finitude….

Sorties des cales des bateaux, ces statues perdent tout sens de la gravité, perdues dans un monde qu’elles ne reconnaissent plus et qui ne les reconnaît pas. Sauf, peut-être, quand elles se cachent sous un masque fleuri qui, paradoxalement, les humanise. Ces statues, ces allégories d’une humanité complexe, Marianne Catzaras a été les photographier sur tout le pourtour de la Méditerranée, cette mer qui nous rassemble, et dont elle dit que c’est le centre du monde. Elles viennent du musée du Bardo, bien sûr, mais aussi de la gypsothèque de Pise, de la villa Médicis de Rome, du musée d’Athènes. Elle les a baptisées « Le long sommeil », « la mémoire », « le vain combat », ou, curieusement, mais de façon révélatrice, « autoportrait ». Car, Marianne le sait, le métier d’être homme le condamne à errer en un impossible voyage, et de connaître le désespoir d’un impossible accostage. Contrairement à son voyageur immobile, elle est partie, revenue, a retrouvé le port que son père scaphandrier avait cru quitter pour un temps, mais en fait pour toujours, et croit avoir trouvé un ancrage dans une maison à Djerba, dans une maison à la porte entr’ouverte.

Et parce que cette voyageuse a trouvé un voyage à sa mesure, celui de la poésie, nous ne résistons pas au plaisir de publier le texte qui accompagne et illustre son exposition :

« Il était une fois l’histoire d’un homme qui n’avait jamais quitté le port. Il passait sa vie à regarder les bateaux voguer à travers le monde…Il racontait que, dans le fond des mers, se trouvait l’énigme du temps. Visages de statues rouillées par le sel, visages de terre aux larmes pétrifiées, Aphrodites séculaires, Alexandre le Grand à la bouche pleine d’algues.

Comment lever le silence du temps, comment lever le drapé lourd de la mémoire?

Comment lever l’ancre et défier l’arrogance du temps ? L’insolence violente de la finitude ?

Accoster, accoster, voilà le rêve des hommes.»

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