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Galas chantants et chorales participatives : Quand le public devient la vedette

  • 24 août 19:20
  • 5 min de lecture
Galas chantants et chorales participatives : Quand le public devient la vedette

Ce phénomène, d’abord popularisé par le chef d’orchestre et arrangeur Boudchart avec son concept «La chorale, c’est vous», a ouvert la voie à une nouvelle forme de spectacle : le karaoké symphonique de masse. Loin d’être anecdotique, cette vague révèle des mutations profondes dans notre rapport à l’art, à la scène et à la participation.

La Presse — Tous les festivals ont quasiment bouclé leurs programmes, mais la saison estivale continue à donner envie à la fête et au partage. Les scènes se libèrent pour des soirées musicales et des galas et les guichets affichent, de nouveau, des sold-out. Parmi ces soirées à grand succès auprès du public, la soirée Galas Chants où le public se substitut à la vedette et prend, en chœur, le micro.

Playlist préparé à l’avance et partagée sur les réseaux sociaux, dress code de rigueur : tout ce qu’il faut pour faire la fête.  Le passage de l’expérience Boudchart aux autres formes de chorales de public qui se déchirent sur un concept qui remplit les caisses aux moindres coûts, quel impact social et culturel, quelles en sont les limites, et leur signification profonde dans le paysage artistique actuel ? 

Depuis quelques années, un nouveau format artistique conquiert les scènes et les cœurs : les galas chantants, où le public devient chorale, chantant à l’unisson avec un orchestre en direct. Ce phénomène, d’abord popularisé par le chef d’orchestre et arrangeur Boudchart avec son concept «La chorale, c’est vous», a ouvert la voie à une nouvelle forme de spectacle : le karaoké symphonique de masse. Loin d’être anecdotique, cette vague révèle des mutations profondes dans notre rapport à l’art, à la scène et à la participation.

Historiquement, la scène appartient à l’artiste, au «performer». Le public écoute, applaudit, reçoit. Le modèle proposé par Boudchart (et désormais décliné ailleurs) renverse cette logique : le public devient l’artiste, l’orchestre devient l’accompagnateur, et la salle de spectacle se transforme en un immense chœur collectif.

Ce basculement révèle plusieurs éléments clés : désacralisation de la scène : la frontière entre l’artiste et le public s’efface. Ce n’est plus le «génie» seul sur scène, mais la foule réunie qui crée l’émotion. Réinvention du chant collectif qui est une pratique autrefois communautaire (fêtes, mariages, rituels), le chant partagé retrouve ici un cadre artistique structuré et orchestré.

Accessibilité et inclusion car chanter ensemble, c’est permettre à tous de participer, sans barrière technique, sociale ou culturelle. Ces chorales publiques répondent, selon certains, à un besoin social post-pandémie celui de se reconnecter, de faire corps, de vibrer ensemble. Elles créent une forme de catharsis collective, une émotion partagée qui agit comme un exutoire.

Ce format nourrit aussi un rapport actif à la culture : le public ne consomme plus passivement, il devient porteur et transmetteur de mémoire musicale.

On y observe,  alors, un renforcement du lien social puisque chanter ensemble signifie synchroniser ses émotions et son énergie, une revalorisation du patrimoine musical à travers les chansons choisies qui sont souvent issues du répertoire populaire ou traditionnel et qui  reprennent vie dans la bouche de milliers de personnes. En plus d’un sentiment d’appartenance culturelle car ce n’est pas seulement une performance, c’est un acte identitaire. 

Mais derrière cet engouement, des critiques légitimes émergent. Certains y voient un karaoké géant scénarisé, certes plus noble, mais qui repose sur une logique de consommation musicale facile. Les chansons choisies sont presque toujours fédératrices, connues, nostalgiques. Cela pose la question : où est la prise de risque artistique.

Il existe aussi le risque de l’uniformisation du répertoire car, avec ce type d’événement, nous misons  sur des morceaux consensuels. On valorise l’émotion immédiate plutôt que la découverte. Cela peut appauvrir la diversité musicale sur le long terme. Et il serait primordial de questionner le rôle de l’artiste professionnel en question étant donné que le public devient la vedette, quel est l’avenir de l’interprète ? Le danger serait de banaliser le métier d’artiste en valorisant uniquement l’émotion collective sans regard sur l’exigence, la formation ou la créativité.  

Au-delà de l’effet de mode, ces chorales publiques activent plusieurs leviers profonds : le besoin de communauté dans une époque de solitude numérique, la recherche d’authenticité, à l’heure où tout est filtré, retouché, perfectionné, l’envie de participer plutôt que de simplement consommer.

C’est aussi un miroir de notre époque : dans un monde hyper médiatisé, où chacun a une «voix» sur les réseaux, ces galas proposent une voix littérale, collective, palpable.  

Le phénomène des chorales de public, incarné par des figures comme Boudchart, dépasse le simple divertissement. Il nous interroge sur la place de chacun dans la culture, sur notre besoin de créer ensemble, sur ce que signifie aujourd’hui «faire spectacle».

Auteur

La Presse

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