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Beït al-Hikma – Conférence inaugurale de la nouvelle année académique : L’humanité à l’heure de l’Anthropocène

  • 7 octobre 18:50
  • 5 min de lecture
Beït al-Hikma – Conférence inaugurale de la nouvelle année académique : L’humanité à l’heure de l’Anthropocène

« Nous sommes confrontés à une accumulation rapide de facteurs d’incertitude, amplifiés par les médias et les réseaux sociaux. Une spirale de menaces semble s’être déclenchée, que nos sociétés, prises entre urgence et contradictions, peinent à maîtriser ».

La Presse — L’Académie tunisienne des sciences, des lettres et des arts, « Beït al-Hikma », a donné le coup d’envoi de l’année académique 2025-2026 le samedi 4 octobre 2025, avec une conférence inaugurale de haute facture intitulée « Un temps désorienté : du présentisme à l’Anthropocène », présentée par le professeur François Hartog, éminent historien et titulaire de la chaire d’historiographie ancienne et moderne à l’École des hautes études en sciences sociales.

Le conférencier a su captiver un large public en l’invitant à réfléchir aux profondes mutations de notre rapport au temps, à l’histoire et à l’avenir.

 

François hartog beit al hikma

 

La spirale d’instabilité

En évoquant les notions de « présentisme », thèse selon laquelle seul le présent existe, et d’« Anthropocène », terme qui désigne une nouvelle ère géologique dans laquelle l’impact de l’activité humaine sur la planète est devenu la principale force géologique et environnementale qui façonne la Terre, le professeur Hartog a montré comment notre rapport au temps se redéfinit à l’ère où l’humain marque durablement la Terre.

Il souligne à cet effet que la centralité du présent, accentuée par les technologies et la communication instantanée, entre en tension avec la durée et l’ampleur des phénomènes planétaires et historiques, provoquant une véritable désorientation temporelle dans nos sociétés contemporaines.

Il a également interrogé les implications de cette double temporalité pour la pensée historique, l’urbanisme, la politique et l’action sociale, insistant sur la nécessité d’articuler les temporalités individuelles et planétaires dans un monde soumis à des crises écologiques et sociales croissantes.

François Hartog dresse un constat lucide sur l’époque contemporaine, marquée selon lui par une accumulation sans précédent d’incertitudes. De la pandémie de Covid-19 aux conflits internationaux récents, en passant par le dérèglement climatique et la montée des tensions politiques, le monde vit désormais dans une spirale d’instabilité permanente, amplifiée par les médias et les réseaux sociaux.

« Avant la pandémie de Covid-19, l’incertitude était le mot de l’ouverture de la décennie. Si la pandémie a été un indicateur de l’incertitude mondiale en 2020-2021, de nouveaux facteurs sont apparus depuis, à savoir la guerre en Ukraine depuis février 2022, le conflit israélo-palestinien depuis octobre 2023, et le retour de Donald Trump au pouvoir en janvier 2025, le tout sur fond d’instabilité climatique accélérée ».

L’historien a analysé cette crise à travers le prisme du temps, qu’il considère aujourd’hui profondément désorienté. « Le futur a perdu de son évidence », explique-t-il, soulignant que notre société s’enferme dans un présentisme, ou plutôt un présent envahissant et sans perspective, nourri par la communication instantanée et l’urgence permanente.

Nous sommes confrontés à une accumulation rapide de facteurs d’incertitude, amplifiés par les médias et les réseaux sociaux. Une spirale de menaces semble s’être déclenchée, que nos sociétés, prises entre urgence et contradictions, peinent à maîtriser, explique-t-il. «Face à cette incertitude généralisée, les inquiétudes augmentent, tout comme les prophètes de malheur et autres exploitants de l’angoisse».

La tyrannie du temps immédiat  

L’Anthropocène, désigné comme une nouvelle époque géologique, souligne que l’humanité est devenue une force géologique. Les actions humaines modifient la Terre de façon exponentielle depuis les années 1950. Présentisme et Anthropocène confrontent l’humanité à un passé immense (4,54 milliards d’années) et à un futur déjà menaçant, avec des extinctions massives possibles, alerte le conférencier.

« Ces temporalités dépassent notre capacité de représentation et nourrissent incertitude et inquiétude. Le présentisme provoque une première désorientation temporelle ; l’Anthropocène en ajoute une seconde. Cette accumulation de temporalités multiples est désormais la condition historique de nos sociétés ».

Le conférencier s’interroge : « Comment vivre dans l’Anthropocène ? Comment articuler les temporalités planétaires et celles du monde humain, souvent discordantes et contradictoires ? ». Selon lui, la coexistence d’un présentisme tantôt choisi, tantôt subi, les inégalités entre Nord et Sud et la gestion de l’urgence climatique génèrent de fortes tensions. Dans ce contexte, a-t-il ajouté, l’urbanisme et l’architecture doivent faire preuve de flexibilité, de modularité et d’adaptabilité.

Or, cette adaptation se heurte à une « tyrannie du temps immédiat », imposée par les technologies et l’intelligence artificielle, qui valorisent l’efficacité instantanée au détriment de la réflexion et du long terme. En invitant des figures de premier plan de la recherche et de la pensée mondiale,  Beït al-Hikma poursuit ainsi sa mission d’ouverture et de dialogue scientifique, offrant au public académique un moment privilégié de réflexion et d’échanges sur les enjeux contemporains.

Auteur

La Presse

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