Tribune – Importance du journalisme dans le débat autour des lois de finances
La fiscalité est perçue par la plupart des citoyens comme une discipline inaccessible, peuplée de chiffres, d’acronymes, de doctrines et de décrets. Chaque année, la Loi de finances est votée suite à un débat simplifié et tronqué, alors même qu’elle impacte directement le pouvoir d’achat, l’investissement, l’emploi et la cohésion sociale.
Cette situation n’est pas seulement due à la complexité du système fiscal; elle tient aussi au manque d’intermédiation entre les institutions et le citoyen, rôle indispensable dévolu en principe au journalisme sérieux, fiable et de qualité.
Un système fiscal opaque et peu débattu
Au fil des années, le système fiscal est devenu un champ réservé aux initiés : inspecteurs des finances, fiscalistes, comptables, responsables administratifs ou parlementaires spécialisés.
Or, la fiscalité n’est pas une affaire purement technique, c’est avant tout un choix politique et social. Elle traduit la manière dont l’État répartit les charges et les avantages, finance ses priorités et arbitre entre équité et efficacité.
Mais, faute d’une communication claire, de données accessibles et d’une inflation de textes difficiles à suivre, le citoyen est tenu à l’écart. Il subit la fiscalité sans la comprendre, ni pouvoir la contester de manière éclairée.
C’est dans ce contexte — propice aux erreurs, aux abus et aux malentendus — que le journaliste doit jouer un rôle essentiel à savoir porter la voix des contribuables, mettre en lumière les lacunes du système et traduire le langage fiscal dans un vocabulaire accessible au public non initié.
Le journalisme fiscal, une passerelle entre l’expert et le citoyen
Le journalisme fiscal ne se limite pas à relayer les communiqués du ministère des Finances. Il a pour mission de rendre lisible ce qui ne l’est pas, de traduire la technicité en enjeux de société et d’ouvrir des espaces de débat sur la justice fiscale, la qualité de la dépense publique et la cohérence des politiques budgétaires.
En expliquant les dispositions des lois de finances, en vérifiant les chiffres, en questionnant les choix du gouvernement et en confrontant les points de vue, le journaliste contribue à démocratiser la fiscalité.
Chaque article, chaque reportage, chaque décryptage permet de replacer l’impôt dans sa dimension citoyenne : un instrument de solidarité et de développement, et non un simple prélèvement.
Le débat sur les lois de finances : un enjeu démocratique majeur
Le débat public autour des lois de finances demeure aujourd’hui insuffisant, souvent réduit à quelques polémiques ponctuelles. Pourtant, il s’agit d’un moment clé de la politique économique du pays : c’est là que se décident les priorités, les arbitrages et les efforts demandés à chaque catégorie sociale.
Un journalisme rigoureux et engagé peut transformer ce moment technique en temps fort de démocratie participative, en aidant les citoyens à comprendre notamment :
• quelles sont les nouvelles mesures fiscales ;
• qui en bénéficie réellement ;
• et quel sera leur impact sur la vie quotidienne et sur l’économie nationale.
Un champ propice à l’investigation journalistique
La fiscalité est également un terrain particulièrement fertile pour le journalisme d’investigation. Derrière les textes et les chiffres se cachent des intérêts économiques, des pratiques d’évitement, des exonérations sélectives et parfois des abus de pouvoir.
Les enquêtes fiscales, qu’elles concernent la fraude, la corruption ou l’usage détourné des incitations, permettent de révéler les angles morts du système et de rappeler que la transparence n’est pas un luxe, mais une exigence démocratique.
L’Ocde, elle-même, reconnaît la contribution du journalisme d’investigation à la lutte contre l’évasion fiscale internationale. Dans plusieurs rapports, l’organisation souligne que les révélations journalistiques — comme les Panama Papers ou les Paradise Papers — ont permis de récupérer des milliards de dollars de recettes fiscales et de renforcer la coopération entre États. Ces exemples montrent qu’un journalisme libre, compétent et persévérant peut produire des effets concrets sur la justice fiscale et sur la gouvernance publique.
En Tunisie aussi, le champ fiscal offre un potentiel d’investigation considérable : évaluation des dépenses fiscales, suivi des exonérations, transparence des recettes issues des ressources naturelles, contrôle des avantages sectoriels ou cohérence entre les promesses de réforme et les pratiques administratives.
Former et outiller les journalistes : une nécessité
Pour jouer pleinement ce rôle, les journalistes doivent être bien formés et disposer d’outils adaptés : notions économiques de base, lecture critique des lois de finances, compréhension des données budgétaires, et surtout, accès effectif à l’information publique.
Encourager le développement d’un journalisme économique et fiscal spécialisé n’est pas un luxe : c’est une condition essentielle pour construire une opinion publique responsable et bien informée, capable d’exiger des comptes et de participer à la réflexion éclairée nécessaire à l’accomplissement de cette tâche.
C’est en bien informant que l’on réforme, et c’est en rendant la fiscalité compréhensible et accessible que l’on peut, enfin, la rendre plus juste.
N.B. : L’opinion émise dans cette tribune n’engage que son auteur. Elle est l’expression d’un point de vue personnel.