À travers l’écosystème entrepreneurial tunisien, la question du financement conserve toute son actualité. Ce défi s’inscrit dans un constat plus large dressé par la Banque mondiale : dans les économies émergentes, quatre entreprises sur dix rencontrent toujours des difficultés d’accès au crédit. C’est dans ce contexte que se sont tenues les dernières Rencontres du Financement, réunissant décideurs économiques et représentants d’institutions financières internationales. Organisé par la Chambre de commerce et d’industrie tuniso-française, l’événement a permis d’examiner soixante-et-une demandes de financement et de organiser quarante-cinq entretiens directs entre porteurs de projets et financeurs.
Le président de la Chambre, Khelil Chaibi, a souligné la nécessité de repenser en profondeur les outils de financement pour les aligner sur les réalités complexes auxquelles font face les PME locales, tiraillées entre transformations technologiques, exigences environnementales et instabilité économique.
La Banque européenne pour la reconstruction et le développement ( BERD) , présente en Tunisie depuis 2012, y a mobilisé plus de 2,7 milliards d’euros, dont 240 millions rien qu’en 2024. Son représentant, Firas Moalla, a détaillé une approche combinant plusieurs instruments. Les entreprises peuvent ainsi bénéficier d’un accompagnement consultatif dont 70% du coût est pris en charge par la BERD, couvrant des domaines comme l’optimisation des chaînes de production ou la réalisation d’audits énergétiques.
Au-delà de dix millions d’euros, la banque intervient directement sous forme de prêts. En deçà de ce montant, elle propose un mécanisme de garantie partielle adossé aux contrats des banques partenaires, simplifiant les procédures tout en ouvrant droit à de l’assistance technique. Trois exemples concrets illustrent cette stratégie : un conditionneur ayant réduit sa consommation électrique de 15%, un transformateur agroalimentaire équipé de solutions lui permettant d’économiser 90% de sa ressource hydrique, et une unité industrielle dotée d’une centrale solaire de 5 mégawatts. La BERD intervient également en prise de participation directe et soutient plusieurs fonds d’investissement locaux. Quelques jours avant le forum, deux lignes de crédit ont été signées avec des banques tunisiennes pour faciliter l’accès de leur clientèle à des financements verts.
La Banque africaine de développement ( BAD) dispose quant à elle d’un portefeuille dédié au secteur privé en Afrique du Nord s’élevant à plus de 600 millions d’euros, extrait d’un enveloppe continentale globale de 5 milliards. Fernando Rodrigues, responsable des opérations pour l’Afrique du Nord, a expliqué que cette enveloppe est majoritairement structurée autour de prêts à longue maturité, complétés par des lignes de crédit, des injections en fonds propres et des garanties partielles. La BAD cible des entreprises financièrement autonomes et dotées d’une gouvernance structurée, pour des opérations démarrant à 10 millions d’euros, et peut typically couvrir un tiers du montant total. Les durées de remboursement s’étendent jusqu’à quinze ans, voire vingt ans pour les projets d’infrastructure ou énergétiques. Le projet solaire de Kairouan, cofinancé avec la SFI à hauteur de 37 millions d’euros, incarne cette approche. À l’échelle régionale, la Banque a également soutenu un transformateur de caoutchouc en Côte d’Ivoire et participé au financement d’une cimenterie de 50 millions d’euros au Maroc.
La Société Financière Internationale (SFI) exige généralement un ticket minimal de dix millions de dollars ou d’euros, un seuil justifié selon sa représentante résidente Sarah Morsi par l’ampleur des coûts de traitement des dossiers. Récemment, l’institution a débloqué 68 millions d’euros pour un producteur tunisien de tomates cerises employant 3000 personnes dans la région de Gabès et a structuré le financement de la centrale solaire Tozeur One d’une capacité de 100 mégawatts. Pour les PME ne répondant pas à ce critère de taille, l’IFC a développé une stratégie d’accès indirect via les banques commerciales, les sociétés de leasing et les fonds de private equity, à l’image d’un investissement récent dans le fonds Flat6Labs en Tunisie.
L’institution propose par ailleurs des participations minoritaires directes, plafonnées à 20% du capital, et un volet conseil couvrant la gouvernance, l’efficacité énergétique et les stratégies de décarbonation. Ses secteurs d’intervention prioritaires incluent l’industrie pharmaceutique, visant l’objectif africain de 60% d’autosuffisance médicamenteuse d’ici 2030-2035, les énergies renouvelables, l’agroalimentaire et la gestion hydrique. La SFI travaille actuellement avec l’ONAS et la SONEDE sur des programmes destinés à renforcer leur viabilité financière et à structurer des partenariats public-privé.