Plutôt qu’une simple contrainte, la question environnementale est un levier de transformation pour le développement en Tunisie.
La Presse — Depuis que les scientifiques et les écologistes ont tiré la sonnette d’alarme sur les dangers du changement climatique et ses impacts compromettant l’avenir des générations futures, le développement durable est devenu une priorité pressante pour les gouvernements du monde entier.
Mais pour y parvenir, le chemin reste long : il nécessite des financements, des investissements, des modèles alternatifs réussis, des transitions multiples… et surtout une prise de conscience collective afin que toutes les parties prenantes s’impliquent dans ce processus de longue haleine.
Mais, qu’en est-il de la Tunisie ? Quel état des lieux peut-on dresser aujourd’hui du développement durable dans le contexte tunisien ? La question a récemment été débattue lors d’un échange en ligne organisé par le think tank GI4T, avec la participation d’économistes et de spécialistes du domaine.
Pour l’économiste Adel Ben Youssef, la question environnementale progresse en Tunisie, mais de façon irrégulière.
Cette évolution « en dents de scie » est, selon lui, intimement liée à la question de rattrapage économique, un défi qui marque le pays depuis son indépendance. Il explique que la dimension écologique ne peut être efficacement intégrée que si les problèmes de croissance et de transition vers un niveau de revenus plus élevé sont résolus.
Le lien entre la hausse du revenu individuel et la prise en compte des enjeux environnementaux a d’ailleurs été établi depuis longtemps par les économistes, a-t-il poursuivi.
Il a ajouté qu’au-delà du contexte tunisien, la question environnementale dépend également des modèles économiques, de la productivité, des chaînes de valeur et de l’évolution de l’économie mondiale.
Comment faire face à des défis de plus en plus pressants ?
Si l’action environnementale a bel et bien été engagée en Tunisie au niveau institutionnel, elle est aussi profondément enracinée dans la société tunisienne grâce au lien qu’entretiennent les populations locales avec la nature, les forêts et l’eau. C’est ce qu’a rappelé l’environnementaliste Samir Meddeb, soulignant qu’un tournant a été amorcé dans les années 1970 avec l’urbanisation croissante.
Depuis, le rapport des individus au capital naturel a profondément changé, tandis que la connaissance intime de l’environnement s’est progressivement effacée. Meddeb a précisé que la dimension institutionnelle a pris forme à la fin des années 1980, avec la création de l’Agence nationale de protection de l’environnement, puis du ministère de l’Environnement, ainsi que la participation de la Tunisie au Sommet de Rio.
Mais, selon lui, l’impact de cette dynamique est resté limité et la question est demeurée cantonnée aux spécialistes. Dans le même temps, la dégradation de l’environnement commençait à peser sur certaines régions et les effets du changement climatique se faisaient de plus en plus ressentir.
L’aggravation des problèmes d’eau, les sécheresses répétées, la hausse des températures ou encore l’apparition d’espèces exotiques en mer sont autant de phénomènes liés au changement climatique et qui ont affecté les activités locales. Il a ajouté, en somme, que ce contexte représente une opportunité pour relancer de nouvelles dynamiques de développement.
De son côté, l’économiste Latifa Ziadi estime qu’il est impossible d’aborder les enjeux environnementaux sans prendre en compte les dimensions liées à l’âge et au genre. Elle souligne que plusieurs expériences de terrain, menées pour évaluer la résilience environnementale et l’adaptation des femmes dans le cadre de l’économie bleue, ont montré que celles-ci sont particulièrement sensibles aux problématiques liées aux changements climatiques.
Cela s’explique, selon elle, par le lien direct qui unit les femmes à l’environnement, que ce soit dans le milieu rural, la pêche ou certaines activités artisanales.
Prenant l’exemple des femmes qui distillent les plantes médicinales, elle a expliqué qu’elles perçoivent clairement les changements affectant la biodiversité et la raréfaction progressive des ressources naturelles. De même, le recyclage domestique et la rationalisation des ressources demeurent principalement des pratiques féminines au sein des foyers.
Par ailleurs, Ziadi a observé que les jeunes instruits sont plus sensibles aux questions de valorisation des déchets, de changement climatique et de durabilité. Mais, d’une manière générale, les enjeux liés au climat restent encore largement méconnus du grand public : diverses enquêtes montrent que la majorité des Tunisiens ne sont pas pleinement conscients des conséquences du changement climatique ni des risques liés à la pollution. Les problèmes de sécheresse constituent les seuls phénomènes réellement identifiés par la population.