La complexité croissante du système fiscal tunisien ne cesse de soulever des inquiétudes, tant du côté des entreprises que de celui de l’État. Elle pèse non seulement sur la compétitivité des acteurs économiques formels, mais elle compromet également la capacité des pouvoirs publics à élargir le système fiscal.
La Presse — Dans un contexte marqué par une forte pression budgétaire, la réforme fiscale est devenue une urgence, indique Anis Ben Saïd, Conseiller fiscal agréé et expert judiciaire auprès des tribunaux, précisant que la réussite de la réforme fiscale repose sur trois piliers complémentaires : justice fiscale, simplification administrative et discipline budgétaire, accompagnés de mesures concrètes, d’évaluation rigoureuse et d’un suivi transparent.
Mesures concrètes
L’expert estime qu’il est crucial de réduire les inégalités fiscales, de mieux faire contribuer les groupes à forte capacité contributive et de protéger les plus vulnérables. Parmi les mesures concrètes proposées, la révision des barèmes et seuils d’impôt sur le revenu, qui apparaît essentielle pour préserver le pouvoir d’achat des bas revenus tout en augmentant la progressivité pour les hauts revenus.
Il est aussi nécessaire de rationaliser les exonérations, en évaluant le coût et l’efficacité de chacune, et de remplacer certaines mesures universelles par des transferts monétaires ou des crédits d’impôt ciblés pour les ménages vulnérables. Enfin, la taxation temporaire ou exceptionnelle, comme les plus-values financières, pourrait être envisagée si nécessaire.
Selon l’expert, diminuer le coût de conformité, favoriser l’entrée dans le formel et améliorer le climat des affaires constituent un objectif stratégique. La création d’un guichet fiscal unique numérique pour déclarations, paiements, demandes d’exonération et suivi des remboursements, l’harmonisation des formulaires et l’instauration de régimes forfaitaires simplifiés pour TPE/PME figurent parmi les mesures prioritaires.
En outre, l’adoption d’un code fiscal consolidé et stable, avec un moratoire sur les modifications majeures, offrirait la prévisibilité nécessaire aux investisseurs.
Il estime, également, que les mesures d’austérité doivent être ciblées pour protéger les dépenses sociales et les investissements productifs, et que les chocs exogènes nécessitent l’utilisation du fonds de réserve et une marge de manœuvre financière.
Priorité d’action pour 2026
«La loi de finances 2026 doit reposer sur trois piliers cohérents : justice (équité et ciblage), simplicité (réduction des coûts de conformité et prévisibilité) et soutenabilité (discipline et priorisation) », affirme l’expert. Ces trois éléments se renforcent mutuellement : la simplification facilite l’élargissement du système fiscal et la justice fiscale accroît l’acceptabilité politique des mesures d’ajustement budgétaire, jetant ainsi les bases d’une fiscalité plus performante et plus juste pour la Tunisie.
Les coûts administratifs liés aux obligations fiscales représentent aujourd’hui un fardeau considérable pour les entreprises. Entre la multiplicité des déclarations, la complexité des formulaires et les obligations mensuelles, trimestrielles ou annuelles, les sociétés doivent mobiliser d’importantes ressources comptables, juristes et fiscalistes pour se conformer à la législation. Selon lui, « les petites et moyennes entreprises, moins bien équipées que les grands groupes, sont proportionnellement les plus pénalisées ».
L’expert précise que « Les acteurs qui respectent scrupuleusement les règles supportent une charge plus lourde que ceux qui recourent à l’évasion ou exploitent les niches fiscales », a-t-il affirmé, rappelant que cette situation crée un désavantage compétitif pour les entreprises opérant dans le formel.
Mais l’impact de cette complexité ne se limite pas aux entreprises. L’excès de formalités décourage les petites structures et les indépendants à intégrer le système fiscal, les poussant à rester dans l’économie parallèle. Cette dernière, qui représente déjà une part importante du PIB tunisien, échappe ainsi à tout mécanisme de recouvrement.
De plus, la lourdeur des procédures favorise les erreurs, les litiges et les contentieux. L’administration, contrainte de mobiliser une énergie considérable dans les contrôles, se retrouve souvent incapable de cibler la fraude massive. La fiscalité tunisienne étant régulièrement citée comme un frein majeur par les investisseurs locaux et étrangers.
L’érosion de la compétitivité devient inévitable : la hausse des coûts réduit les marges et affaiblit les entreprises face à des concurrents opérant dans des environnements fiscaux plus simples et plus stables. C’est pourquoi il est nécessaire d’établir une feuille de route claire et opérationnelle.
Celle-ci devrait s’articuler autour de trois axes majeurs : la justice fiscale, afin de répartir équitablement la charge entre acteurs formels et informels, la simplification administrative, pour réduire les coûts et l’insécurité juridique, et la soutenabilité budgétaire, en veillant à préserver l’équilibre des finances publiques.
Pour l’expert, un projet de loi de finances 2026 crédible devrait intégrer ces réformes, en définissant des mesures concrètes, des indicateurs de succès précis, des acteurs clairement identifiés et des mécanismes de suivi rigoureux. Une telle réforme ne serait pas seulement un ajustement technique, mais un véritable levier de relance économique et de restauration de la confiance.