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Economie

Tribune : Système fiscal tunisien et conflits d’intérêt

  • 28 septembre 18:00
  • 5 min de lecture
Tribune : Système fiscal tunisien et conflits d’intérêt

S’il y a une réforme prioritaire du pouvoir exécutif en général et du système fiscal en particulier, ce serait bien la résolution des situations de conflits d’intérêt institutionnels et personnels. Cette réforme devrait découler naturellement de la ratification par la Tunisie de la Convention des Nations unies relative à la lutte contre la corruption (2008) et des multiples discours sur la lutte contre la corruption tenus par les gouvernements successifs depuis 2011.

Malheureusement, la réalité est tout autre : la situation de conflit d’intérêt s’est aggravée, notamment dans le système fiscal. Du médiateur fiscal au Conseil national de la fiscalité, l’un des systèmes les plus importants dans la vie du citoyen, et sans doute le plus impactant, continue de fonctionner sur des bases inadaptées, accumulant les incompatibilités.

Aujourd’hui, l’administration fiscale concentre toutes les fonctions clés : conception de la norme, interprétation, contrôle, recouvrement et évaluation. Or, en matière de gouvernance, un même acteur ne devrait pas être à la fois législateur, interprète, contrôleur, percepteur et évaluateur.

Le médiateur fiscal: un conflit d’intérêt qui pèse sur le droit de défense

Créé par la loi de finances 2011, le médiateur fiscal devait se substituer à la phase de conciliation au niveau du tribunal et résoudre, de manière anticipée, les litiges entre contribuables et administration fiscale. Mais dans sa mise en œuvre, cette institution a introduit une nouvelle situation de conflit d’intérêt.

Les commissions régionales de conciliation sont, en effet, présidées par les chefs de centres régionaux du contrôle des impôts — les mêmes responsables qui supervisent les services, dont les travaux sont contestés devant la commission. Autrement dit, le chef de centre régional de contrôle des impôts est devenu juge et partie.

La composition de ces commissions est d’ailleurs largement dominée par l’administration fiscale. Dans la plupart des cas, leurs décisions s’alignent sur la position de l’administration fiscale. Dans d’autres, on a observé des pratiques pour le moins étonnantes : par exemple, un chef de centre régional signant une décision favorable au contribuable… puis la récusant, au nom du caractère «consultatif» de la commission.

Dans les faits, les commissions régionales de conciliation n’ont jamais constitué une véritable garantie pour le contribuable. Les chefs de centre ne peuvent pas contredire les résultats des vérifications fiscales menées par leurs propres agents. Ils ne se permettent plus de compliquer la réalisation des objectifs fixés par la direction générale. C’est là une illustration concrète  du conflit d’intérêt qui renforce le déséquilibre du système fiscal tunisien.

Le Conseil national de la fiscalité : l’évaluateur sous tutelle

Selon l’article 4 du Code des droits et des procédures fiscales, le Conseil national de la fiscalité est un organe consultatif chargé d’évaluer le système fiscal et de donner son avis sur toutes les questions fiscales soumises à son attention, dans l’optique de garantir l’équilibre des finances publiques, l’efficacité économique et l’équité fiscale.

En théorie, il s’agit d’un mécanisme essentiel de gouvernance : l’évaluation indépendante est le seul moyen d’identifier les dysfonctionnements, de corriger les inégalités et de proposer des réformes crédibles.

En pratique, cet organe reste dépourvu d’indépendance. Le Conseil est présidé par le ministre des Finances et son secrétariat est assuré par les services du même ministère. Autrement dit, l’administration fiscale — architecte du système — est en même temps l’évaluateur de son propre travail. Le conflit d’intérêt est évident.

Cette situation prive le Conseil national de toute légitimité réelle. Les rapports produits n’ont jamais pu remettre en cause les pratiques ou les choix de l’administration. L’absence d’autonomie dans sa composition et son fonctionnement empêchent l’institution de jouer son rôle de contre-pouvoir.

Une gouvernance fiscale à rééquilibrer

Qu’il s’agisse du médiateur fiscal ou du Conseil national de la fiscalité, ces deux institutions censées renforcer les droits des contribuables et améliorer la transparence ont été absorbées par l’administration et intégrées dans son propre champ de contrôle.

Au lieu de corriger les déséquilibres du système, elles ont contribué à les renforcer. Cette logique centralisatrice transforme l’administration fiscale en un acteur omnipotent : législateur, interprète, contrôleur, percepteur et évaluateur.

Pourtant, la Tunisie s’est engagée, en ratifiant la Convention des Nations unies contre la corruption, à prévenir les conflits d’intérêts et à instaurer une gestion transparente et responsable des affaires publiques.

La résolution de ces situations devrait passer par :

– L’indépendance du Conseil national de la fiscalité, avec une présidence confiée à une personnalité extérieure et une composition élargie aux universitaires, aux ordres professionnels et à la société civile.

– La réforme du médiateur fiscal, en le dotant d’une véritable autonomie et en séparant sa mission de toute tutelle hiérarchique de l’administration fiscale.

– La séparation des fonctions fiscales: contrôle, recouvrement, interprétation et évaluation devraient relever d’acteurs différents.

 

N.B. : L’opinion émise dans cette tribune n’engage que son auteur. Elle est l’expression d’un point de vue personnel.

Auteur

La Presse

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