« Derrière le soleil » de Dhia Jerbi : Questionner son histoire et ses origines
Dhia est un jeune Tunisien qui a émigré à Marseille après la révolution. Il souffre de bégaiement et craint de transmettre ce handicap à son fils Elia, né de mère française. Ayant essayé l’hypnose et l’orthophonie, on lui a finalement conseillé un séjour en Tunisie pour « questionner son histoire et ses origines ».
La Presse — Dans le cadre du « Mois du film documentaire », orchestré par l’association Échos cinématographiques en partenariat avec Hakka Distribution, des rendez-vous sont programmés dans différentes salles pour découvrir des documentaires tunisiens et étrangers.
La salle CinéMadart a accueilli le public le dimanche 28 septembre, à l’occasion de la projection du film « Derrière le soleil » (Falija Hamra en tunisien) de Dhia Jerbi. L’accès était à 6 dinars seulement. Une discussion en présence du réalisateur a suivi la séance, qui s’est déroulée dans une ambiance décontractée. La foule s’était installée sur des fauteuils, mais aussi sur des poufs et des chaises longues, créant une atmosphère conviviale et propice à l’échange.
« Derrière le soleil » est un long métrage de 1h05 minutes produit en 2024. Il est majoritairement en dialecte tunisien, hormis quelques scènes de dialogue avec des personnages français. Il s’agit du premier long-métrage documentaire de Dhia Jerbi qui est diplômé en réalisation et écriture cinématographiques. Le film a été sélectionné dans de nombreux festivals en France et à Istanbul. Il a également été projeté hors compétition lors des Journées cinématographiques de Carthage.
Ce documentaire autobiographique est inspiré de la vie du réalisateur. C’est d’ailleurs lui-même qui a installé la caméra pour filmer les différentes scènes entre la Tunisie et la France.
A première vue, le thème principal est un trouble de l’élocution dont la cause est psychologique. Dhia est un jeune Tunisien qui a émigré à Marseille après la révolution. Il souffre de bégaiement et craint de transmettre ce handicap à son fils Elia, né de mère française.
Ayant essayé l’hypnose et l’orthophonie, on lui a finalement conseillé un séjour en Tunisie pour « questionner son histoire et ses origines ». On se rend alors compte que le bégaiement n’est qu’un prétexte pour raconter la Tunisie à travers un angle original. La notion de transmission et d’hérédité prend alors une dimension bien plus large que le problème d’élocution.
Le réalisateur revient sur des étapes marquantes de son parcours intime. Des échanges riches en émotions et en révélations se succèdent avec ses parents, sa sœur, son cousin, une amie de la faculté et même son fils de deux ans. Chaque scène, ou presque, est un récit personnel qui reflète des réalités sociales à travers les propos d’un personnage qui s’ouvre à Dhia.
Par leur nature intime, ces confidences recueillies spontanément prennent la forme d’une introspection collective. Le réalisateur déploie autour de ces dialogues ainsi que ses propres souvenirs et expériences les aspects culturels, sociaux et la situation politique. L’œuvre reflète alors en permanence la mémoire, les sentiments et la mentalité dominante après la révolution.
Elle étreint avec brio des problématiques comme la désillusion de la jeunesse, les échecs politiques, le chômage, l’addiction au cannabis comme refuge, le rêve de partir du pays pour se construire un avenir meilleur et va même jusqu’à questionner la notion d’attachement à une terre natale quand l’Occident ouvre ses bras et promet des lendemains meilleurs.
Un attachement qui se résume, entre autres, aux liens affectifs familiaux, quand un verger d’orangers hérité de génération en génération et entretenu avec soin devient le symbole d’un pays. L’impact émotionnel sur le public était fortement palpable.
En guise de conclusion, le film offre une scène de réconciliation familiale prolongée au générique par « Achirti », une chanson de Bendirman, artiste emblématique de la révolution tunisienne dont la musique porte les voix d’une génération animée par un élan de changement. De longs applaudissements ont suivi la projection.
Le réalisateur était présent pour échanger avec le public. Il nous a expliqué que le bégaiement, qui est réel comme défaut d’élocution, pourrait aussi symboliser le bégaiement de tout un peuple qui cherche une parole libre après la révolution. En réponse aux questions, il a insisté sur l’authenticité des témoignages qu’il a filmés spontanément pour susciter à la fois réflexion et émotion. Le terme « scénario » mentionné sur le générique ne fait pas allusion à un volet fictif de l’œuvre, mais correspond simplement au choix des situations à filmer et des sites de tournage.
« J’installais ma caméra et je déclenchais les conversations. Toutes les réponses sont réelles et spontanées. La structure du film n’a été finalisée que lors du montage, rien n’a été tracé d’avance », nous a raconté Dhia Jerbi.
« Derrière le soleil » est ainsi une façon pour le jeune réalisateur de parler de lui, de partir de lui et de son entourage pour raconter le mal du pays ressenti par ceux qui partent, et le mal d’un pays qui, lui, reste blessé en quête de guérison.
Rappelons que le mois du film documentaire se poursuit jusqu’au 12 octobre. Chaque film est projeté dans plusieurs salles, souvent avec la présence du réalisateur, pour des débats animés et inspirants. Les tarifs, toujours très accessibles, permettent à tous de découvrir des histoires personnelles et collectives qui ne laissent pas indifférent.