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Culture

Notes de lecture – Salah Ben Youssef et les yousséfistes : Conjoncture d’une scission sociétale 1955–1956*

  • 5 octobre 19:20
  • 4 min de lecture
Notes de lecture – Salah Ben Youssef et les yousséfistes : Conjoncture d’une scission sociétale 1955–1956*

Par Mohamed Lotfi CHAIBI

En sa qualité de chef nationaliste, secrétaire général du Néo-Destour d’abord et de sa rivalité avec son confrère Habib Bourguiba, président du même parti, Salah Ben Youssef a été au centre d’événements décisifs dans le mouvement de libération nationale et l’accession de la Tunisie à l’indépendance.

Tour à tour aux prises avec la répression de 1935, l’affrontement du 9 avril 1938, la tentative avortée de négociation de l’autonomie interne en 1950–1951 et la crise de l’indépendance en 1955–1956, mais aussi longtemps exclu ou pris à partie par l’histoire officielle, Ben Youssef a reconquis une place de choix dans la galerie des héros nationaux depuis la déposition de Bourguiba en 1987.

La grande notoriété historique de Ben Youssef n’a d’égale que la controverse qu’il a déclenchée avant et pendant son accès au gouvernement en 1950 et lors de son passage fulgurant  dans l’opposition au gouvernement tunisien à partir de 1955. Son assassinat  le 12 août 1961 juste après la bataille de Bizerte (19-22 juillet 1961) a relancé le débat depuis sur la portée de ses actions politiques.

Aussi, M’Hamed Oualdi, professeur des Universités à Sciences Po Paris, entreprend–t-il une approche synthétique d’une question qui s’invite sans cesse dans les débats publics tunisiens : la question du youssefisme et de sa répression. Sollicitant les documents d’époque (presse nationaliste tunisienne et archives militaires et diplomatiques françaises), l’auteur suggère un éclairage subdivisé en trois chapitres : I-L’homme de la «discorde» ?, II-La Tunisie yousséfiste, III-La dissolution du mouvement yousséfiste. 

Bien évidemment, on ne saurait réduire le différend/conflit Bourguiba–Ben Youssef à un duel de chefs, la conjoncture de la crise de l’indépendance 1955-1956 fait état «des déchirements de la société tunisienne», en l’occurrence une scission sociétale où les trois éléments constitutifs de la politique sont présents : les intérêts, les idées et les passions.

Orient/Occident, conservatisme/libéralisme. Monarchie/République, Est/Ouest/non-alignement, laïcité/ théocratie, autocratie, autant d’options stratégiques, de choix politiques que les deux leaders rivaux ont instrumentalisés et fort bien sollicités dans leurs discours. L’analyse du moment de l’affrontement est mouvant, instable, marqué par l’accélération du mouvement de la décolonisation, de l’histoire.

On ne saurait systématiser l’esquisse des deux portraits : Un Bourguiba moderniste optant pour l’Occident et un Ben Youssef conservateur résolument panarabe ayant tous les deux leurs répondants et effets dans la société tunisienne désorientée et marquée par 75 années de colonialisme : sujétion politique, exploitation économique et pénétration culturelle franc maçonne. Le tableau est nuancé et pertinemment reconstitué par l’auteur.

Salah Ben Youssef ne s’est pas présenté au congrès du Néo Destour à Sfax (15–19 novembre 1955) pour défendre sa thèse de l’indépendance totale dans un cadre maghrébin, invoquant des raisons de logistique pour entrer en contact avec ses partisans. En fait, il s’est rendu compte que son rival le président Bourguiba a obtenu enfin le positionnement de l’Ugtt pour le Bureau politique (voir le discours d’Ahmed Ben Salah, secrétaire général de l’Ugtt au début des travaux du congrès) contre le Secrétariat général. Ainsi, le congrès de Sfax a confirmé l’exclusion du SG Salah Ben Youssef.

Le Président du Parti néo-destourien a réussi la première manche de la bataille politique grâce à l’Ugtt.

La seconde manche relative à la «résurrection du mouvement fellagha» (décembre 1955- janvier 1956) résolument yousséfiste, notamment dans l’extrême sud tunisien, fut neutralisée avec l’aide de l’armée française. Enfin, il est à souligner que la fin tragique du leader Salah Ben Youssef le 12 août 1961 à Francfort est à mettre en relation, en connexion avec les incidences désastreuses de la confrontation Bourguiba–Général de Gaulle durant la bataille de Bizerte.  

M.L.C.

Auteur

La Presse

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