Trois questions à – Mohamed salah Glaied, Ingénieur et expert spécialiste en eau : Miser sur des solutions résilientes et durables
La Tunisie subit une forte pression sur ses ressources hydriques, accentuée par le changement climatique et la croissance des besoins en eau. Les approches traditionnelles centrées sur la gestion de l’eau montrent leurs limites face à ce stress hydrique structurel.
Dans ce contexte, l’intégration des ressources en eau non conventionnelles (dessalement de l’eau de mer et réutilisation des eaux usées traitées) apparaît comme une stratégie incontournable pour développer l’offre en eau du pays.
Selon Mohamed Salah Glaied, ingénieur et expert spécialiste en eau, il est primordial d’imposer des ajustements pour assurer l’évolution de la situation hydrologique dans le cadre d’un plan de développement qui combine mobilisation de nouvelles ressources, modernisation des réseaux et rationalisation de la consommation. Interview.
La Presse — Comment se présente la situation hydrique actuelle en Tunisie après les dernières précipitations? Est-ce que les barrages ont pu profiter de ces récentes pluies ?
La Tunisie affronte depuis des années une nouvelle phase critique de développement et de gestion de ses ressources en eau, ces ressources deviennent de plus en plus rares et mal gérées. En effet la situation des eaux de surface (eaux des barrages) demeure inférieure à 30 % depuis plus de cinq ans.
Actuellement et malgré les dernières précipitations, nos barrages contiennent 661 millions de m3 d’eau soit un taux de remplissage de 28% de leurs capacités actuelles estimées à 2.300 millions de m3. Seul le barrage de Mellègue a connu un apport de 8 millions de m3 dont 6 millions ont été transférés vers la retenue de Sidi Salem.
Les ressources en eau subissent en Tunisie des pressions anthropiques accrues liées, entre autres, à la forte croissance démographique et urbaine, ainsi qu’au développement économique qui poussent la demande en eau à la hausse, de sorte que l’eau devient de plus en plus rare. Cet état de fait sera potentiellement aggravé par les effets des changements climatiques.
Quels sont les principaux défis que la Tunisie rencontre dans la gestion de ses ressources en eau ?
Le secteur de l’eau dans notre pays connaît de grands problèmes et fait face à des défis énormes, à savoir : la réhabilitation, le renouvellement, la rénovation et la maintenance des systèmes d’eau afin de réduire les pertes, le gaspillage et la dégradation de la qualité.
Parmi les défis que rencontre le secteur, figure la valorisation de l’eau déjà mobilisée, la création de nouveaux axes de transfert basés sur une faible consommation d’énergie et le recours à l’énergie renouvelable tout en travaillant sur le stockage souterrain de l’eau. La protection des ressources en eau souterraines qui sont soumises à des surexploitations extraordinaires moyennant la mise en place d’un système de comptage est également un défi à relever. Aussi la recharge artificielle des nappes sera l’axe majeur pour certaines nappes menacées par la salinisation et l’intrusion marine liée à l’élévation accélérée du niveau de la mer. A ceux-ci, s’ajoute la protection de l’ensemble des ressources et des écosystèmes contre la pollution hydrique moyennant l’amélioration du traitement des eaux usées et la réutilisation locale des eaux usées traitées au lieu de la rejeter dans le milieu hydrique ou en mer.
Quelles sont les stratégies à long terme pour garantir la durabilité des ressources ?
Pour garantir la durabilité de nos ressources en eau, il faut, en premier lieu, les sauvegarder et les protéger contre le gaspillage et l’utilisation anarchique tout en instaurant un nouveau code des eaux qui remplacera celui de 1975, promouvoir le dessalement des eaux de mer ou saumâtres et des énergies renouvelables en veillant à trouver des sources de financement fiables et durables.
Les programmes et des plans quinquennaux devront prendre en considération la réhabilitation ou la modernisation des équipements et réseaux d’adduction d’eau potable et d’irrigation, la création de nouveaux barrages ou le rehaussement des anciens, l’amélioration de la qualité de traitement des eaux épurées des stations relevant de l’Onas et aussi la promotion des énergies renouvelables à l’horizon 2035.
Comment intégrer de manière durable le changement climatique dans les politiques publiques de gestion de l’eau ?
La sécheresse accompagnée de la surexploitation des nappes, de la pollution des différents écosystèmes et des conflits socioéconomiques divers a fait apparaître l’incapacité à protéger les ressources et les infrastructures de l’eau surtout que nous disposons de ressources financières limitées.
Ainsi, pour sa durabilité et pour faire face aux impacts des changements climatiques, il faut, en premier lieu, diversifier les ressources avec plus de projets de dessalement raisonnés et aussi promouvoir et améliorer la qualité de traitement des eaux de ménage et des eaux industrielles.
Instaurer une politique de sensibilisation et de bonne utilisation s’avère aussi nécessaire pour le secteur irrigué en premier lieu et pour l’eau potable urbaine et rurale en deuxième lieu.