Fuite des cerveaux et exil des startups : Une double urgence économique
Alors que la Tunisie cherche à consolider son statut de terre d’innovation, la rétention des talents et des startups demeure un enjeu central. C’est autour de cette problématique qu’a été organisée la 3e édition du salon « Get Entrepreneurial », à l’Utica, à l’initiative de l’Ensi Junior Entreprise. Entrepreneurs, experts et étudiants y ont débattu des défis structurels qui freinent l’épanouissement de l’écosystème national et des pistes à envisager pour transformer la Tunisie en un véritable hub économique et technologique durable.
La Presse —Il n’est sans doute pas de signal plus alarmant que la fuite des cerveaux, sinon celle des startups elles-mêmes. Lorsque ces jeunes entreprises, faute de pouvoir concrétiser leurs ambitions de croissance et d’innovation dans l’écosystème tunisien, se tournent vers des environnements plus performants, plus dynamiques et davantage « up to date », c’est tout un pan du potentiel national qui s’érode.
Dès lors, la question n’est plus seulement celle du soutien financier de l’Etat ou de l’accompagnement institutionnel. La véritable clé de rétention réside dans la qualité de l’écosystème économique dans son ensemble — autrement dit, dans le climat des affaires. Celui-ci repose, selon Mohamed Ben Abid, directeur général au ministère de l’Economie et de la Planification, sur douze piliers essentiels: le lancement, l’accès au foncier, le financement, le partenariat, l’export, la logistique, entre autres.
Faire de la Tunisie un hub de talents
Ce constat a été formulé à l’ouverture de la 3e édition du salon « Get Entrepreneurial », organisé récemment au siège de l’Utica à l’initiative de l’Ensi Junior Entreprise.
La rencontre, réunissant des entrepreneurs, des étudiants, des experts et des cadres de l’Etat, a permis d’explorer en détail les rouages de l’écosystème susceptibles d’entraver la réussite et l’expansion des startups, tout en cherchant à éviter leur extinction ou leur départ précoces.
Intervenant en visioconférence depuis Dubaï, Oussama Messaoud, directeur des opérations chez « Betawaves », a affirmé qu’«il n’est pas possible de retenir le talent par la force, mais par un écosystème évolutif et innovant, offrant plus de liberté d’entreprendre et de composer avec le monde entier».
Mieux encore, la mise en place d’un tel écosystème permettrait d’attirer des compétences venues du monde entier, capables de concrétiser l’ambition de faire de la Tunisie un hub de talents. C’est d’ailleurs le thème retenu pour cette édition : « Faire de la Tunisie un hub économique pour un avenir durable ».
Pour ce faire, le président de l’Ensi Junior Entreprise, Ahmed Zribi, a évoqué, en réponse à une question de La Presse, la conscience comme préalable à la réalisation d’une vision stratégique pour la Tunisie.
« Pourquoi le jeune qui part étudier à l’étranger ne revient-il pas en Tunisie ? », s’est-il interrogé, en rappelant qu’il existe d’abord une obligation morale envers son pays qui lui a permis d’évoluer et d’étudier avant de partir.
« La conscience crée la vision »
Ce type de rencontres permet, selon Zribi, de soulever les problématiques de l’écosystème, d’examiner les facteurs ayant conduit à des « success stories », mais aussi d’identifier les insuffisances à l’origine de certains échecs.
Par la même occasion, « Get Entrepreneurial », plateforme réunissant les acteurs clés de l’écosystème et se positionnant comme un levier de transformation à travers la vision des jeunes, tente de proposer des solutions concrètes aux difficultés rencontrées.
« Si nous ne trouvons pas de solutions à tous les problèmes, nous aurons au moins contribué au développement de la conscience des jeunes pour promouvoir la Tunisie », a-t-il expliqué. « La conscience crée la vision», a-t-il conclu.
Les experts ayant analysé les failles de l’écosystème — certaines d’ordre réglementaire, d’autres d’ordre financier, administratif ou organisationnel — ont également mis en avant les contraintes du marché, qui doivent être soigneusement étudiées avant tout lancement.
A ce propos, Jihène El-Ouakdi, membre du Collège « Startups Act », a souligné que l’innovation n’a de valeur que si elle répond à un besoin réel du marché. « Il faut donc explorer les besoins du marché, ainsi que les possibilités offertes par le système productif, afin de proposer une idée innovante capable de produire un résultat vendable au client final », a-t-elle expliqué. Dans le même ordre d’idées, Chiraz Arfaoui, de « Wiki Startups », a évoqué une mentalité encore trop répandue en Tunisie : celle de vouloir réussir seul.
Certains porteurs de projets innovants, a-t-elle noté, hésitent à collaborer, alors qu’en agissant en partenariat avec d’autres, « les horizons s’élargissent, le marché aussi, et l’innovation progresse ».
Le mentorat, l’accompagnement et l’encadrement constituent également des leviers essentiels pour réduire le risque d’échec, conviennent les experts.