gradient blue
gradient blue
A la une Autres Société

Ghar El Melh : Les cultures Ramli, patrimoine agricole mondial en péril

  • 6 novembre 16:44
  • 5 min de lecture
Ghar El Melh : Les cultures Ramli, patrimoine agricole mondial en péril

Dans une partie du littoral tunisien, au cœur de la belle région de Bizerte (nord de la Tunisie), un système agricole ingénieux, unique au monde et adapté à une zone humide riche en biodiversité, est aujourd’hui menacé. Il s’agit de pratiques agricoles ancestrales dans le sable, qui ont façonné non seulement les paysages de la ville côtière de Ghar El Melh, mais aussi les traditions, les rites et le rapport des habitants avec la terre et la mer. C’est pourquoi de nombreux exploitants agricoles militent pour préserver cet héritage national et mondial.
Bien qu’encore pratiquées par environ 180 agriculteurs et reconnues depuis le 15 juin 2020 par la FAO comme patrimoine mondial sous le label “SIPAM” (Système Ingénieux du Patrimoine Agricole Mondial), ces pratiques sont désormais menacées par l’urbanisation sauvage, le changement climatique et le retard d’intervention pour le déblocage d’une conduite d’eau reliant la lagune à la mer, sur laquelle repose tout le système d’irrigation naturelle. L’absence de relève, due au désintérêt des jeunes pour l’agriculture artisanale, constitue également une menace pour ces cultures originales et écologiques.
« Les potagers périurbains dits “Ramli” sont cultivés dans des parcelles de sable irriguées grâce à un phénomène osmotique. Les pommes de terre, oignons, laitues, aubergines, haricots et autres cultures maraîchères poussent dans des sols sablonneux et sont irrigués par l’eau de mer qui s’infiltre et remonte à la surface », explique Mohamed Blanco, guide de l’ONG Tunisian Campers.
Il s’adressait à des journalistes en visite à Ghar El Melh dans le cadre d’une formation de six mois en journalisme environnemental, organisée par le PAMT2 (Programme d’Appui aux Médias Tunisiens 2), financé par l’UE, en partenariat avec le Projet d’Appui à la Gouvernance Environnementale et Climatique pour une Transition Écologique en Tunisie (PAGECTE), la start-up Tunisian Campers et le ministère de l’Environnement.
« L’eau salée, humidifiée par la marée, irrigue les racines des plantes après un dessalement naturel, grâce à la migration des sels vers le haut et à la capacité des plantes à filtrer l’eau. La remontée de la nappe phréatique permet d’alimenter les cultures en eau douce tout en limitant le recours à l’irrigation artificielle », ajoute le jeune guide de randonnées éco-responsables.
Ali Garsi, agriculteur pratiquant les cultures Ramli, milite pour la préservation de ce système unique. « En l’absence de relève, c’est à nous de faire perdurer ces cultures de plus en plus menacées par plusieurs facteurs », explique-t-il. Selon lui, le problème principal réside dans le blocage fréquent de la conduite d’eau entre la lagune et la mer, essentielle au fonctionnement du système naturel d’irrigation. « Le “grau”, ou “boughaz” en dialecte local, qui relie la lagune à la mer et permet l’échange avec la Sebkha de Sidi Ali El Mekki, se bloque désormais tous les 48 heures, alors qu’avant, cela n’arrivait que tous les deux ou trois ans, à cause de l’ensablement accru ».
L’élévation prévue du niveau de la mer pourrait également submerger les zones humides. De même, le changement climatique risque de provoquer un déficit hydrique et une pénurie d’eau douce, poussant les agriculteurs à abandonner ces pratiques ou à recourir à l’irrigation artificielle, notamment pendant les périodes sèches.
Pour préserver la zone humide, Ali Garsi propose l’aménagement d’une conduite d’eau durable entre la lagune de Ghar El Melh et la Sebkha de Sidi Ali El Mekki, plutôt qu’entre la sebkha et la mer, afin de résoudre définitivement l’accumulation de sable et le blocage des échanges d’eau.
Zohra Ennafef, membre du bureau exécutif de l’UTAP et présidente de la Fédération de la femme agricole, milite pour assurer l’écoulement des produits agricoles de Ghar El Melh et dénonce les atteintes au domaine public maritime. « Les cultures Ramli risquent de disparaître, non seulement à cause du changement climatique, mais aussi à cause de l’abandon des terres, du manque de circuits de distribution spécifiques et des pressions pour convaincre les agriculteurs de vendre leurs parcelles ».
Ennafef travaille à la labellisation des produits de terroir de Ghar El Melh comme patrimoine immatériel unique. « Nos produits sont vendus au même prix que les produits conventionnels, alors qu’ils sont originaux, issus d’un système naturel et écologique, et d’un goût unique ». Les labels pour les parcelles Ramli permettraient d’assurer une meilleure valorisation et d’intégrer les Gataayas (parcelles dans les zones humides) dans un circuit éco-culturel local. La région attire déjà des touristes locaux et étrangers, et ses produits sont très prisés.
Il convient de rappeler que Ghar El Melh, qui abrite une zone humide d’environ 15 000 ha, a obtenu le label « Ville des zones humides – Ville RAMSAR » en octobre 2018, devenant ainsi la première ville arabe et nord-africaine inscr

Auteur

La Presse