Festival international de Carthage : Ky-Mani Marley annulé, un hommage à Fadhel Jaziri le remplace
Le Festival international de Carthage reprogramme sa soirée du 17 août après l’annulation du concert de Ky-Mani Marley, visé par une polémique autour de ses positions supposées pro-sionistes.
À la place, un hommage sera rendu à l’icône culturelle tunisienne Fadhel Jaziri, avec la projection de son film «Thalathoun», œuvre marquante du cinéma tunisien contemporain.

La Presse —Le Festival international de Carthage connaît une nouvelle reconfiguration de son programme. Le spectacle du chanteur jamaïcain Ky-Mani Marley, prévu initialement pour le 17 août, a été officiellement annulé, selon un communiqué publié sur la page officielle du festival. À la place, les organisateurs ont choisi de rendre hommage à l’une des figures majeures de la culture tunisienne : feu Fadhel Jaziri, avec la projection de son film «Thalathoun», à la même date et à la même heure.
Si le comité d’organisation n’a pas explicitement précisé les raisons de cette annulation, celle-ci intervient après plusieurs semaines de vives polémiques sur les réseaux sociaux. Ky-Mani Marley a été accusé par une partie du public tunisien de soutenir des positions perçues comme favorables à l’entité sioniste, ce qui a provoqué un tollé et appelé au boycott du concert. Cette décision fait écho à celle de l’annulation du concert de la chanteuse Hélène Ségara, quelques semaines auparavant, pour des raisons similaires.
Quant à l’hommage à Fadhel Jaziri, plutôt qu’un simple remplacement, la projection de «Thalathoun» se veut un moment fort et chargé de sens. Réalisé par Fadhel Jaziri en 2008, ce film revient sur la Tunisie des années 1930, en pleine effervescence politique et artistique. À travers le destin de jeunes intellectuels en lutte contre la colonisation, Jaziri livre une œuvre puissante, profondément ancrée dans la mémoire collective et l’héritage culturel tunisien.
Homme de théâtre, de spectacle vivant et aussi cinéaste, Fadhel Jaziri a marqué des générations par sa capacité à fusionner les arts, à revisiter le patrimoine et à questionner le présent à travers le prisme du passé. L’hommage qui lui est rendu ce 17 août est une manière de réaffirmer l’importance de sa contribution au paysage artistique tunisien.
Fadhel Jaziri a su, au fil des décennies, tisser une œuvre foisonnante, mêlant mémoire populaire, poésie et musique. Pourtant, c’est aussi derrière la caméra que Jaziri a su laisser une empreinte forte, bien que moins souvent explorée. Son passage au cinéma est tout sauf anecdotique. Il est, au contraire, le prolongement naturel d’une vision artistique totale, incarnée notamment dans un film devenu emblématique : «Thalathoun»- (30, en référence aux années trente).
Le film retrace les combats de toute une génération contre le colonialisme, tout en s’attachant à montrer la richesse artistique et humaine de l’époque. On y croise des figures inspirées d’icônes réelles, entre chants, poésie, réunions clandestines et aspirations d’un peuple en quête de dignité.
La caméra de Jaziri capte les corps, les voix, les silences et les mouvements avec une intensité rare. Son sens du rythme, hérité du théâtre et du spectacle vivant, irrigue chaque scène. La lumière y est dense, les dialogues ciselés, la mise en scène profondément habitée.
«Thalathoun» ne se contente pas de raconter une époque : il interroge le présent à travers le passé. En ce sens, il s’inscrit dans une veine profondément tunisienne du cinéma de mémoire, aux côtés d’autres grandes œuvres comme celles de Nouri Bouzid ou Mahmoud Ben Mahmoud. Mais là où ces cinéastes adoptent souvent une approche réaliste ou sociologique, Fadhel Jaziri propose un regard esthétique et stylisé, presque chorégraphique.
Son apport au cinéma tunisien réside dans cette capacité à faire dialoguer les arts : théâtre, musique, arts visuels, et bien sûr cinéma. C’est un cinéma hybride, riche, qui ne craint pas l’expérimentation, ni l’émotion.
Aujourd’hui encore, alors que le cinéma tunisien continue de se renouveler avec de jeunes talents, le film «Thalathoun» reste une œuvre de référence. Il rappelle que l’histoire de la Tunisie ne se raconte pas uniquement par les faits, mais aussi par la musique, la parole, l’image et la mémoire collective.