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Culture

Nouveautés littéraires : Clore l’été avec intelligence et émotion

  • 30 août 18:40
  • 5 min de lecture
Nouveautés littéraires : Clore l’été avec intelligence et émotion

À quelques jours de la rentrée, il est encore temps de s’offrir un moment de lecture fort, profond, nécessaire. Trois œuvres puissantes nous tendent les bras pour clore l’été avec intelligence et émotion : un roman-choc sur le féminicide signé Nathacha Appanah, une ode à la mémoire et à la résistance par les livres dans une Gaza en ruines avec Rachid Benzine, et un texte inclassable et magistral de Teju Cole, à la croisée de l’autofiction et de la méditation.

Trois voix, trois univers, une seule certitude : ces lectures marqueront votre esprit bien au-delà de la fin de l’été.

« La nuit au cœur » de Nathacha Appanah

«La nuit au cœur» (Gallimard) est le neuvième roman de la Mauricienne Nathacha Appanah. C’est un livre coup de poing dans lequel la parole vient se fracasser contre « l’impossibilité du langage », ouvrant des brèches dans les ténèbres de l’âme humaine. Son thème : le féminicide.

Le récit entrelace trois histoires de violence conjugale : Chahinez, Algérienne de 31 ans, brûlée vive par son mari en pleine rue près de Bordeaux, en 2021; Emma, la cousine de l’autrice qui vivait à l’île Maurice et qui avait le même âge que Chahinez en 2000, quand elle a été écrasée volontairement par son mari au volant de sa voiture ; et les violences conjugales dont Nathacha Appanah elle-même fut victime et qui ont failli la consumer.

Les trois destins s’entremêlent dans ce roman grave et puissant, révélant un engrenage meurtrier dans lequel «la nuit noire prend la place de l’amour». Faire œuvre littéraire pour sonder l’énigme du passage à l’acte par un compagnon violent, telle est l’ambition de l’écrivaine dans ces pages. « C’est un livre que j’ai eu le privilège d’écrire, parce que je suis là », a-t-elle confié.

« L’homme qui lisait des livres » de Rachid Benzine

La littérature peut-elle conjurer la mort et l’oubli des vivants ? C’est la question qui hante le lecteur de «L’homme qui lisait des livres» (Julliard), le nouveau titre sous la plume du Marocain Rachid Benzine.  Le récit est campé ici au milieu des gravats et du chaos qui règne dans le Gaza contemporain dévasté par les bombes israéliennes.

Son héros Nabil, né en 1948, l’année de la Nakba, est libraire dans la ville palestinienne meurtrie. Entouré de ses livres, le vieil homme attend qu’une âme charitable s’arrête dans sa librairie et vienne lui prêter l’oreille, car il a tant de choses à raconter.

Quand un photographe pousse ce qui reste de la porte de sa librairie et pointe sur lui  l’objectif, soucieux d’immortaliser cette scène invraisemblable de l’homme qui lit alors que le monde s’effondre autour de lui, Nabil se fait conteur, partageant avec le visiteur la tragédie interminable de son peuple, ses propres drames, mais surtout la leçon des livres dans lesquels il puise son courage pour résister  aux agressions infinies de l’Histoire.

« Vibrato » de Teju Cole

« Les feuilles sont noires et lustrées et des fleurs mourantes émane une senteur qui pourrait être celle du jasmin ». Ainsi commence Vibrato (Zoë) du Nigérian Teju Cole, un texte difficile à classer. L’ouvrage, traduit de l’anglais par Serge Chauvin, n’est pas tout à fait un roman, même si une mince ligne narrative traverse ses 250 pages, puis disparaît et revient, comme le thème dans une œuvre musicale.

Le thème de Vibrato, c’est quelques mois dans la vie du protagoniste, Tunde. Ce dernier est le double de l’auteur : tout comme Cole, il est écrivain, critique d’art, photographe et, last but not least, professeur de « creative writing » dans une université américaine. Le récit s’ouvre sur une séance de photos en plein air, interrompue par le propriétaire des lieux.

On voit ensuite Tunde s’acquitter de ses devoirs professoraux, avant de s’engager dans une promenade dans le Maine pour chiner chez les antiquaires. Il est accompagné de Sadako, sa compagne. Leurs difficultés conjugales sont évoquées en passant… Le texte se caractérise par la fluidité de la narration, par son étonnante économie de moyens.

Le récit des événements de la vie professionnelle et personnelle de Tunde est entrecoupé de commentaires, de digressions sur l’art, l’histoire, le pillage colonial des œuvres d’art, mais aussi des expériences de racisme puisées dans le vécu de l’auteur.

A mi-chemin entre autofiction et méditation, ces pages se lisent comme un long essai qui invite le lecteur à réfléchir sur le monde comme il va, sur ses heurs et malheurs, sans passer par les conventions romanesques, telles qu’intrigue, personnages, psychologie… Vibrato renouvelle la narration littéraire, son format, son architecture. Attention chef d’œuvre !

Auteur

La Presse