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Vandalisme : Qui chuchote à l’oreille des jeunes délinquants ?

  • 5 septembre 18:30
  • 6 min de lecture
Vandalisme : Qui chuchote à l’oreille des jeunes délinquants ?

Le vide laissé par le décrochage scolaire et l’influence des pairs poussent de plus en plus d’adolescents vers la délinquance.

La Presse — Une nuit ordinaire à la gare ferroviaire de Sfax, le mercredi 20 août, s’est transformée en véritable scène de chaos. Plusieurs adolescents, identifiés comme supporters de clubs de football locaux, se sont affrontés violemment, détruisant des installations publiques et semant la panique parmi les voyageurs.

Des vidéos largement relayées sur les réseaux sociaux ont montré des vitres brisées, des kiosques pillés et du mobilier saccagé, déclenchant une vague d’indignation. Vingt-six personnes ont été arrêtées.  

Ces derniers mois, plusieurs actes similaires ont visé les transports publics à Tunis. Le 16 août 2025, et à titre d’exemple, des mineurs ont endommagé à coups de pierres un bus flambant neuf à Tunis et saboté les freins de secours d’une rame de métro, provoquant des perturbations et des dégâts matériels.

Ces actes ont conduit à des arrestations et à des poursuites judiciaires. Dans ce même contexte, le ministère public près le Tribunal de première instance de Tunis 2 a ordonné la mise en garde à vue de huit personnes soupçonnées d’avoir jeté des projectiles sur des véhicules circulant sur un pont du quartier d’Ibn Sina. D’autres individus sont activement recherchés. Tout porte à croire que de tels incidents risquent de se reproduire si aucune mesure efficace n’est prise.

Bien tenir compte des tags sur les murs 

On est en droit de se demander qui « manipule » ces jeunes ? Ces incidents ne sont pas certes des faits isolés, mais il ne faut pas pour autant se perdre dans des conjectures et des explications farfelues. Il ne faut pas aussi et surtout botter en touche et jeter l’anathème sur ces jeunes.

Ces incidents s’inscrivent dans un phénomène plus large de délinquance juvénile en Tunisie, car en arrière-plan se dissimulent souvent de multiples influences : pressions de groupes organisés dans les quartiers et actifs sur les réseaux sociaux, manque de repères familiaux et environnement social fragile en raison du décrochage scolaire précoce.

Il ne faut pas être dupe pour conclure aussi que des « chuchoteurs » exploitent la vulnérabilité de ces adolescents, créant un terreau propice à la délinquance juvénile.

Selon une source sécuritaire, les tags inscrits sur les murs ne sont pas de simples graffitis, mais bien les marques de reconnaissance de certains groupes. Ils révèlent parfois des rivalités visibles entre ces groupes et constituent autant de signaux adressés à la société et même aux décideurs.

Ce sont des messages de défi, de rejet de l’ordre établi, ou de provocation. Bien que souvent violents dans leur expression, ces signes restent la plupart du temps incompréhensibles pour le grand public. Derrière ces pratiques se cachent des jeunes ayant grandi dans un environnement marqué par l’exclusion et la violence.

Pour eux, ces actes traduisent une manière de répondre à cette marginalisation et de s’affirmer face à l’ordre social. « Les réponses ne peuvent pas être uniquement sécuritaires », souligne la même source.

Alerte sur le décrochage scolaire précoce

En Tunisie, le décrochage scolaire dépasse largement le cadre éducatif pour devenir un facteur majeur de marginalisation et d’actes de vandalisme. De plus en plus de jeunes quittent l’école sans diplôme, échappant aux dispositifs d’insertion qui peinent à les encadrer. Ce vide nourrit l’oisiveté et la marginalisation, ouvrant la voie à des comportements déviants et à la délinquance.

« Le décrochage scolaire fonctionne ainsi comme un véritable catalyseur de désocialisation, laissant un vide que la rue et les comportements à risque viennent combler », soulignent nos sociologues.

Le lien entre décrochage et comportements déviants est suffisamment marqué pour inquiéter les pouvoirs publics. En Tunisie ou ailleurs, de nombreuses études établissent une corrélation entre déscolarisation, absentéisme, conduites à risque et dérives violentes. 

L’absentéisme scolaire, souvent premier signal d’alerte, ouvre la porte à des pratiques préoccupantes telles que l’agressivité, les perturbations en classe, la consommation précoce d’alcool, le tabagisme ou l’usage de drogues. Autant de comportements qui traduisent à la fois une rébellion contre l’autorité parentale et un malaise profond face à un système scolaire jugé inadapté.

À ce stade, il devient urgent que le Conseil supérieur de l’éducation et de l’enseignement engage concrètement ses travaux et s’implique pleinement dans la réforme globale du système éducatif national, tel que prôné par le Chef de l’État. Le décrochage scolaire précoce est l’un des problèmes les plus pressants auxquels il devra s’attaquer.

Cette urgence est d’autant plus confirmée par certaines données, dont les résultats de l’évaluation internationale des apprentissages (Pisa 2015) et de l’enquête Mics 2023 réalisée par l’Institut national de la statistique qui mettent en lumière une véritable crise de l’apprentissage.

Ces données révèlent une crise majeure de l’apprentissage en Tunisie. 36 % des enfants de 7 à 14 ans ne maîtrisent pas la lecture de base et 68,3 % présentent de fortes lacunes en mathématiques. La pandémie de Covid-19 et les fermetures d’écoles en 2020-2021 ont aggravé ces écarts. Chaque année, entre 63.000 et 100.000 enfants abandonnent l’école, dont 30.000 sans alternative, et 4 % des enfants âgés de 5 à 17 ans travaillent.

Le prix de l’abandon ?

Briser la spirale de la délinquance exige bel et bien une approche globale. Il faut renforcer l’accompagnement scolaire, déployer des éducateurs sociaux dans les établissements et les quartiers, réduire les inégalités régionales et, surtout, offrir aux jeunes en rupture des perspectives concrètes d’insertion.

En Tunisie comme ailleurs, lutter contre le décrochage scolaire revient ainsi à prévenir la délinquance juvénile : chaque élève sauvé de l’abandon constitue un pas supplémentaire vers une société plus équitable et moins vulnérable aux dérives de la rue. Et c’est au Conseil supérieur de l’éducation et de l’enseignement de montrer la voie.

Alors, qui chuchote à l’oreille des jeunes délinquants ? Ce ne sont pas des figures mystérieuses, mais en premier lieu le vide laissé par le décrochage scolaire, le manque de repères familiaux conduisant à l’abandon et l’influence des amis et camarades. Cette pression des pairs pousse souvent les adolescents à suivre le groupe dans les quartiers, même pour des comportements dangereux ou illégaux dans les stades de foot ou ailleurs, afin de ne pas être rejetés ou exclus. Chaque élève abandonné devient ainsi plus vulnérable aux risques et avatars de la rue.

Auteur

La Presse