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Vers la souveraineté alimentaire en Tunisie : Une stratégie durable pour relever les défis climatiques et agricoles

  • 5 septembre 18:00
  • 7 min de lecture
Vers la souveraineté alimentaire en Tunisie : Une stratégie durable pour relever les défis climatiques et agricoles

Malgré une légère augmentation de la production céréalière en 2024-2025, la Tunisie reste fortement dépendante des importations. Cette fragilité est le résultat de la sécheresse persistante, de la crise climatique et d’un manque de réformes structurelles. Faouzi Zayani, expert en politiques agricoles, estime que l’atteinte de la souveraineté alimentaire est conditionnée par l’adoption d’une nouvelle stratégie. 

La Presse —Malgré une légère amélioration de la production céréalière durant la saison 2024-2025, la Tunisie ne parvient à couvrir que 62 % de ses besoins en blé et en orge. Cette dépendance structurelle aux importations, aggravée par une sécheresse persistante, le dérèglement climatique et l’absence de réformes de fond, continue de peser lourdement sur les finances publiques et d’alourdir la balance commerciale.

Selon Faouzi Zayani, expert en politiques agricoles et en développement durable, l’atteinte de la souveraineté alimentaire passe nécessairement par une nouvelle stratégie fondée sur un financement adapté, une transition énergétique au service de l’agriculture et une gouvernance plus efficace des ressources.

Déficit en intrants et en semences 

Face à une progression fragile et une dépendance accrue aux importations, Zayani a indiqué que le ministère de l’Agriculture a annoncé une progression de la production céréalière durant la saison 2024-2025 par rapport à la saison précédente 2023-2024. «La récolte a atteint environ 20 millions de quintaux, alors que la consommation nationale s’élève à 32 millions de quintaux, soit seulement 62 % des besoins du pays. 

Ce qui est à souligner, c’est que malgré un taux de précipitations élevé enregistré cette saison, la production et la productivité n’ont pas connu d’amélioration notable, plusieurs facteurs ayant contribué à ce résultat moyen», a-t-il mentionné.

Et d’ajouter : « Il est vrai que la Tunisie a souffert de quatre années consécutives de sécheresse, mais elle n’a pas tiré les leçons de cette situation. Or, le secteur céréalier est hautement stratégique : 40 % des agriculteurs sont des céréaliers et les superficies cultivables pouvant être dédiées à ce secteur atteignent 1,8 million d’hectares, alors que seuls 1,2 million d’hectares ont été exploités cette saison».

Zayani a aussi expliqué que depuis plusieurs années, les producteurs expriment leur insatisfaction, car à chaque début de campagne, ils se heurtent à un déficit en intrants et en semences, tandis que le problème le plus critique demeure l’absence de financements souples à des taux d’intérêt raisonnables.

«Cette réalité rend urgente l’adoption d’une nouvelle approche de politique agricole, qui garantirait une meilleure production de denrées de première nécessité, favoriserait la transition énergétique au service de l’agriculture et renforcerait la souveraineté alimentaire», a-t-il souligné. Et d’ajouter que la sécheresse persistante a affecté l’ensemble du secteur agricole et en particulier la céréaliculture, pesant lourdement sur les finances publiques, sur la facture des importations et sur la balance commerciale.

Pourtant, aucune réforme majeure n’a été engagée pour renforcer le potentiel de résilience du pays face aux changements climatiques et pour consolider sa souveraineté alimentaire.

Selon l’expert, «Depuis longtemps, la Tunisie est contrainte d’importer une grande partie de ses besoins en matières premières, et depuis trois ans, elle sollicite régulièrement des institutions internationales pour obtenir des prêts et financer ses importations céréalières. Certes, cette solution est nécessaire pour répondre aux besoins immédiats, mais elle ne constitue en rien une stratégie durable ».

Pour lui, il devient urgent de mettre en place une politique d’encouragement et d’accompagnement des céréaliers, avec des réformes et des mécanismes capables d’augmenter la production, de satisfaire la demande nationale et de réduire la dépendance alimentaire.

Une accumulation de défis… 

«Les finances publiques sont affaiblies et la balance commerciale reste déficitaire depuis des années, notamment à cause de l’importation massive de produits de base comme les céréales. Il faut donc inverser cette tendance en dotant le secteur agricole de nouveaux moyens financiers et technologiques à la disposition des producteurs», a-t-il noté.

Zayani a par ailleurs rappelé que la Tunisie est confrontée à une accumulation de défis : la hausse excessive des températures, la sécheresse, le changement climatique et l’insécurité alimentaire. Ces défis n’ont pas trouvé de réponses adaptées, car le pays n’a pas encore développé des solutions propres à son contexte. Le dérèglement climatique, qui s’aggrave d’année en année, fragilise toute la production agricole, végétale et animale, et en particulier le secteur céréalier, sans provoquer de réaction urgente et structurée de la part des pouvoirs publics.

Pourtant, selon l’expert, des pistes existent pour améliorer la production et tendre vers la sécurité alimentaire. Il s’agit notamment d’augmenter la rentabilité et la productivité, actuellement très faibles, ce qui suppose un renforcement des moyens financiers consacrés à la recherche scientifique, à la vulgarisation et aux ressources humaines.

Il s’agit aussi d’améliorer la gouvernance de l’utilisation des eaux usées traitées, qui pourraient couvrir 25 % des besoins en irrigation alors qu’elles ne représentent aujourd’hui que 7 % à cause d’une gestion défaillante et d’un manque de sensibilisation des agriculteurs. Ces eaux pourraient servir aux cultures fourragères et céréalières.

Il convient également d’augmenter les superficies cultivées, qu’elles soient irriguées ou pluviales, et d’accélérer la transition énergétique en privilégiant les énergies renouvelables dans les usages agricoles, industriels et domestiques. 

Encore plus de pistes à emprunter

Ces énergies propres pourraient réduire les coûts d’irrigation grâce à leur utilisation dans les forages et le traitement des eaux usées ou saumâtres, tandis que dans les cas extrêmes, le dessalement de l’eau de mer pourrait constituer une alternative. De même, il faudrait privilégier l’utilisation de semences locales capables de résister au dérèglement climatique qui affecte toute la Méditerranée.

Des campagnes de sensibilisation plus efficaces et ciblées doivent aussi être mises en place pour encourager un usage raisonné des ressources hydriques. Enfin, Zayani appelle à l’adoption d’un plan d’urgence de réorganisation de la cartographie agricole, en donnant la priorité aux cultures stratégiques comme les céréales, les fourrages et le maraîchage.

Il s’agirait d’accompagner les agriculteurs dans leurs projets de conversion culturale, en favorisant les cultures stratégiques et en limitant celles qui consomment beaucoup d’eau. Ce plan devrait reposer sur trois axes : une meilleure optimisation des ressources en eau, un choix raisonné des variétés cultivées adaptées aux conditions climatiques et une orientation vers des semences résistantes à la sécheresse et aux fortes températures.

Ainsi, la Tunisie fait face à plusieurs défis : sécheresse, hausse des températures, irrégularité des pluies, développement de maladies et baisse de la rentabilité du secteur céréalier. Pour y répondre, il est impératif de s’adapter aux changements climatiques, de relever le défi de la sécurité alimentaire et de préserver l’équilibre des finances publiques.

L’expert recommande trois priorités : mettre en place des financements réels et adaptés au secteur et au contexte géopolitique mondial, renforcer la recherche scientifique et les technologies en leur accordant davantage de moyens, et enfin réussir une transition apaisée vers une agriculture raisonnée et durable, qui privilégie les énergies renouvelables et les cultures stratégiques tout en valorisant les variétés locales résistantes, plutôt que les cultures gourmandes en eau.

Auteur

La Presse