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Monde

Commentaire : Quand le médiateur est à la fois juge et partie

  • 1 octobre 17:30
  • 6 min de lecture
Commentaire : Quand le médiateur est à la fois juge et partie

Quand, à la fin du XVIIIe siècle, Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais écrivit dans sa pièce Le Barbier de Séville « Je me presse de rire de tout, de peur d’être obligé d’en pleurer », l’inventeur du droit d’auteur n’imaginait pas un jour que les fous de roi — ces bouffons engagés par les monarques pour divertir la cour et le souverain lui-même, souvent par l’humour, la dérision et la parole libre — seraient un jour des gouvernants, voire des présidents faisant la pluie et le beau temps.

Après sa scandaleuse boutade de faire de Gaza « La Riviera du Moyen-Orient » et précipiter l’exode de ses habitants de ce territoire assiégé par l’entité sioniste vers des pays voisins du territoire martyrisé par près de deux ans de guerre sans fin, le président Donald Trump a dévoilé, avant-hier soir, son plan de paix pour mettre fin au calvaire des civils de l’enclave palestinienne et stopper la machine de guerre de l’armée sioniste.

Si le Prix Nobel de la Paix (la grande obsession du locataire de la Maison-Blanche) est la seule motivation derrière la nouvelle proposition du président américain, on se demande si on devrait prendre au sérieux un plan pondu par un médiateur qui est à la fois juge et partie ?

Tout le monde sait que l’Oncle Sam est l’allié indéfectible de l’entité sioniste, son soutien militaire en nature (avions de combat furtifs dernier cri, les fameux « F-35 Lightning II », batteries antimissiles « Patriot » de type « Dôme de fer » et « Fronde de David », obus d’artillerie, des bombes de précision, mais aussi des mégabombes d’une tonne capables de perforer et de détruire des bunkers, etc. : un quart du matériel livré à Israël provient de stocks de l’armée américaine entreposés dans différentes bases des Etats-Unis disséminées au Moyen-Orient) ou en espèces*, son protecteur politique et surtout son avocat diplomatique au Conseil de sécurité de l’ONU. Mais voilà, Trump vient de balancer ses vingt commandements pour miroiter l’espoir d’une paix illusoire avec une entité usurpatrice et génocidaire.

Quand on parcourt les vingt nadirs proposés par l’administration Trump, on ne décèle aucune volonté pour juger les criminels de guerre sionistes. Au contraire, la sentence dans ce document est à sens unique : le seul coupable aux yeux des Américains est le Hamas. Et il faut accélérer la capitulation du mouvement de la résistance palestinienne et tourner définitivement le chapitre de la lutte armée d’un peuple opprimé et privé de ses terres.

Pis encore, le plan de Trump s’aligne sur la rhétorique sioniste en qualifiant les combattants palestiniens de la liberté… de terroristes, tout en leur offrant une porte de sortie pour un exil politique sans garantir leur sécurité contre d’éventuels projets d’assassinats perpétrés par le Mossad et ses sbires. 

Et si les civils de Gaza ne seront pas forcés de quitter le territoire, tout en garantissant le droit du retour à ceux qui veulent mettre les voiles vers d’autres contrées, le flou plane sur la durée de la gouvernance proposé par ce document avec aucune perspective de reconnaissance d’un État palestinien. 

D’ailleurs, les médias britanniques avancent le nom de l’ex-Premier ministre du Royaume-Uni et fidèle serviteur des « Ricains », Tony Blair, pour devenir le Paul Bremer (diplomate américain nommé administrateur de l’Irak, du 12 mai 2003 au 28 juin 2004, par George W. Bush, à la suite de l’invasion de ce pays par les États-Unis en 2003, Ndlr) de Gaza sous la supervision orwellienne : « Big Brother is watching you » (Le grand frère vous surveille, en français : le slogan du roman dystopique 1984 de George Orwell, devenu un symbole de la surveillance gouvernementale, Ndlr).

En revanche, le retrait des forces d’occupation sionistes de l’enclave palestinienne est toujours conditionné à une soumission totale des factions palestiniennes aux diktats de ce plan américain sans imposer des règles strictes à l’armée israélienne pour ne pas s’en prendre aux membres du Hamas amnistiés ou poussés à quitter le pays. Du reste, le document laisse toutes les cartes entre les mains des dirigeants sionistes et leurs haut gradés militaires sans leur imposer d’éventuelles sanctions en cas d’agression militaire ou d’assassinats politiques.

Tout le monde le sait: le seul souci des Etats-Unis est de garantir la sécurité d’Israël. Et que ce soit pour la sphère décisionnelle du Shin Beth (agence civile de renseignement intérieur), de l’Aman (direction du renseignement militaire, branche de l’armée sioniste) ou du Mossad (service de renseignement israélien chargé du renseignement extérieur et des opérations spéciales en dehors des frontières sionistes), les promesses n’engagent que ceux qui les croient.

Et quand on voit la réaction du ministre sioniste d’extrême droite Bezalel Smotrich, partenaire clef de la majorité du Premier ministre Benjamin Netanyahu, en qualifiant ce plan d’« échec diplomatique retentissant » pour l’Etat voyou, on ne peut cultiver de l’optimisme.

Dénigrant un certain nombre des dispositions de ce plan en 20 points, le sulfureux ministre des Finances sionistes a qualifié l’ensemble de « mélange indigeste […] démodé ». Selon lui, cette initiative est « un retour à la conception d’Oslo [de 1993 ayant lancé un processus de paix israélo-palestinien aujourd’hui moribond], un raté historique de la chance la plus légitime au monde de se libérer enfin des chaînes d’Oslo (…) », ajoute-t-il sur X.

Finalement, avec la complexité géopolitique du Proche-Orient et la quadrature du cercle d’une cause palestinienne bafouée par la complicité éhontée de l’establishment politique américain avec un gouvernement sioniste extrémiste et va-t-en-guerre, on se demande s’il faut en rire ou en pleurer… après l’annonce en fanfare de ce plan de paix loufoque, pour ne pas dire surréaliste ?

Manifestement, en cajolant Tel-Aviv et en faisant les yeux doux au comité Nobel norvégien, basé à Oslo, « The Donald » fait mieux que le personnage de l’Univers Disney « Donald  Duck » et ses couacs en vrac !

* Au total, depuis le début du versement de l’aide américaine
à Israël en 1959, l’entité sioniste a perçu l’équivalent de 251 milliards de dollars, un chiffre corrigé de l’inflation.

Auteur

La Presse