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« Laroussa » de Selma et Sofiane Ouissi : La danse de l’argile

  • 25 octobre 19:00
  • 4 min de lecture
« Laroussa » de Selma et Sofiane Ouissi : La danse de l’argile

Une célébration du lent, un chant muet offert à la terre

La Presse — Au départ fut le geste, la genèse d’un projet qui a longtemps mûri pour devenir un traçage d’une trajectoire créative. Au départ fut la rencontre avec les femmes potières, avec la terre, le souffle du vent et le crépitement du feu. Au départ fut le toucher, les sens qui s’éveillent en croisant des regards, ceux de femmes créatrices, des femmes-totem qui portent un geste ancestral en héritage.

Au début fut une curiosité, une contemplation puis une transmission. Selma et Sofiane Ouissi ont créé un voyage vers un monde inconnu, la terre rouge qu’on façonne comme une matière  prend forme sous nos yeux tels des dessins rupestres, les formes, les figures et les poupées sont les multiples facettes d’un génie créatif qui défie le temps, conjure le sort et affronte la peur de l’inconnu.   

A Dream City, le périple de «Laroussa» a commencé par ses fragments à la caserne Attarine. Par la reconstitution d’un un atelier vivant, et une immersion au cœur de la fabrique et de la pratique artistiques initiées par Selma et Sofiane Ouissi. La-bas, les gestes ancestraux des femmes potières de Sejnane sont célébrés : lents, précis, transmis de mère en fille, ils s’inscrivent dans la terre et dans le temps.

Le public y est invité, il y plonge, prend corps dans la matière, laisse ses mains parler avant les mots. Ici, tout commence dans le faire ; un geste, un fragment, une lenteur offerte. On apprend en touchant, en façonnant, en écoutant la terre respirer. Cet espace suspendu devient une mémoire en mouvement, un atelier d’attention où chaque trace raconte une filiation invisible.

Laaroussa Fragment prolonge le souffle de «Laaroussa Quartet», un dialogue entre l’artisanat et la vie, entre le corps et la création. D’un geste transmis de femme en femme naît une parole silencieuse, une force douce qui relie les temps.

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Et nous arrivons à ce spectacle sur la scène du Rio, des corps de femmes-danseuses, qui murmurent leurs récits, ce même récit, le geste est identique, qui se reproduit à l’infini, sychronisé, décalé, précis, lent, maîtrisé. Chaque geste donne naissance à une forme qui garde la chaleur des paumes qui l’ont portée. Ici, l’art n’est plus objet, mais rencontre. La matière devient mémoire, et la mémoire une promesse.

Dans «Laroussa», la pièce, les images en mouvement (la vidéo) rendent l’enchaînement des mains plus ample, plus grand, plus intense. Le gros plan et l’insert multiplient les sensations, la performance se divise, se multiplie sous plusieurs grosseurs, à plusieurs rythmes. Les femmes, génératrices de la gestuelle, dévoilent les détails d’un corps à son tour façonné par le mouvement, chaque muscle du dos que laissent voir les interprètes trouve son référent dans l’argile qui change d’aspect sous la chaleur des paumes. 

À Sejnane, les femmes parlent avec la terre. Et les danseuses-interprètes l’on saisi  pour qu’elles aussi portent ce legs, le montrent et le partagent en retour. Car les mains se souviennent, elles savent ce que la mémoire tait. Dans l’argile, elles façonnent des poupées comme on façonne une prière attentive, pleine de souffle.

Selma et Sofiane Ouissi ont écouté ces gestes anciens, recueilli leurs silences, leurs savoirs, comme on recueille l’eau d’une source, une offrande…et six corps ont porté la trace du passé, entre son et rituel. Ce n’est ni tout à fait spectacle ni tout à fait une démonstration ou une performance : c’est un passage, un instant, une suspension hors temps, un entre-deux où l’art rencontre le savoir-faire, où la scène devient atelier, où la création devient mémoire en mouvement.

Les sons, les images, les souffles s’entrelacent, le vivant y dialogue avec la trace. Ici, le corps est archive. Chaque geste s’écrit dans la chair comme sur une page de terre humide. Chaque mouvement réveille ce qui dort, relie ce qui s’éloigne. Le film, lui, garde la braise des mains qui savent, celles qui façonnent le monde sans bruit, celles qui racontent sans mots.  «Laaroussa Quartet» ne montre pas seulement comment on fabrique : il révèle ce que cela fabrique en nous.

Auteur

La Presse