Tribune – Excès de retenues à la source : Quand le fisc prélève plus qu’il ne doit
Les réformes fiscales entreprises à travers les différentes lois de finances ont élargi le champ d’application des avances sur impôts, telles que les retenues à la source, tout en augmentant leurs taux et leurs assiettes. En effet, ces avances sur impôts sont devenues une technique très efficace pour l’administration fiscale : elles lui permettent d’améliorer le recouvrement et d’assurer une rentrée régulière de recettes. Cependant, utilisée sans réelle évaluation de son impact, cette technique a fini par produire des effets pervers qui font souffrir de nombreuses entreprises, notamment celles qui exercent des activités à faible marge.
Une technique devenue excessive
L’élargissement des retenues à la source a créé une situation paradoxale : plusieurs entreprises se trouvent désormais prélevées à la source pour des montants supérieurs à leur impôt réel. Elles accumulent ainsi, année après année, des crédits d’impôt chroniques qui grèvent leur trésorerie et minent leur capacité financière.
L’article 41 de la loi de finances pour 2018 a augmenté l’avance sur l’impôt sur le revenu et sur l’impôt sur les sociétés payable à la douane, (instauré depuis 1995) et calculé sur la valeur des importations et des taxes y afférentes. Le taux de cette avance, initialement fixé à 10 %, a été relevé à 15 % pendant les années 2018 et 2019 — alors même que le taux de l’impôt sur les sociétés était réduit à 15 %. Depuis, et même après le retour au taux de 10 %, de nombreuses entreprises enregistrent de manière systématique des crédits d’impôt : les avances payées à la douane dépassent largement l’impôt sur les bénéfices calculé à partir de la comptabilité réelle.
Autrement dit, l’impôt prélevé est devenu excessif : il dépasse la contribution légale due, transformant une mesure de sécurisation fiscale en un véritable fardeau, en particulier pour les petites entreprises et celles à faible rentabilité.
Des conséquences lourdes pour les PME
Ce déséquilibre devrait interpeller le ministère des Finances et l’administration fiscale sur la pertinence des taux d’avances appliqués. Mais il semble que l’Etat ait du mal à se priver de cette source de rendement facile.
Les conséquences sont multiples : la hausse des demandes de restitution a saturé les services de contrôle des impôts, ralentissant le traitement des dossiers de vérification fiscale et affectant leur rendement, mobilisés pour vérifier la validité des crédits d’impôt. Ainsi, les entreprises doivent souvent attendre plus d’une année avant même que l’administration n’entame la vérification de leur situation fiscale, première étape avant tout remboursement.
Une restitution à deux vitesses
Face à l’encombrement des demandes, l’administration a choisi d’assouplir les procédures de restitution plutôt que de revoir les taux d’avance. Mais les facilités varient selon la taille des entreprises.
Les grandes sociétés, relevant de la Direction des grandes entreprises, peuvent récupérer leurs crédits d’impôt sans vérification fiscale, à condition de produire un rapport d’audit du crédit établi par leur commissaire aux comptes. Le remboursement intervient alors dans des délais raisonnables.
Les entreprises moyennes, qui désignent un commissaire aux comptes, peuvent obtenir une avance partielle en attendant la vérification définitive.
Les petites entreprises, quant à elles, doivent attendre que l’administration effectue une vérification approfondie, souvent longue, portant sur l’ensemble de leurs impôts et taxes, bien au-delà du seul crédit d’impôt demandé.
Ce système instaure une inégalité flagrante : les grandes sociétés, disposant de ressources financières suffisantes, récupèrent rapidement leurs crédits, tandis que les petites entreprises, déjà fragilisées, voient leurs liquidités immobilisées pendant des années.
Un cas emblématique
Prenons l’exemple d’une société tunisienne de commerce en gros rencontré récemment. Depuis la hausse du taux de l’avance à l’importation, ses déclarations d’impôt font apparaître chaque année des crédits d’impôt excédentaires massifs. Les avances payées à la douane dépassent de loin l’impôt sur les bénéfices dû, au point que les sommes demandées en restitution représentent plus de la moitié du chiffre d’affaires annuel.
Ces montants, s’ils étaient remboursés, permettraient à l’entreprise de respirer. Mais la réalité est tout autre : elle attend depuis trois années le remboursement de ses crédits, tout en étant contrainte de souscrire un échéancier auprès de la recette des finances pour régler ses impôts courants. Avec la baisse de son activité, elle risque désormais de ne plus pouvoir honorer cet engagement.
Ce cas n’est pas isolé : de nombreuses petites entreprises connaissent la même situation, asphyxiées par un mécanisme fiscal devenu disproportionné.
L’administration n’a pas mesuré l’impact de ces avances sur la crédibilité du système fiscal ni sur la survie des entreprises déjà confrontées à une conjoncture économique difficile.
Un enjeu de transparence budgétaire
Les députés chargés d’évaluer la sincérité du budget devraient s’interroger sur le volume total des crédits d’impôt non remboursés par l’État, car ces montants représentent des engagements implicites vis-à-vis des entreprises et pèsent sur leur trésorerie.
Or, aucune information de ce type n’apparaît dans les annexes budgétaires, alors même que la Tunisie n’a pas encore adopté la comptabilité à partie double pour ses finances publiques.
Cette opacité empêche toute évaluation réelle de l’équilibre fiscal entre l’État et les contribuables. La retenue à la source, conçue pour sécuriser le recouvrement, ne doit pas se transformer en impôt anticipé permanent qui étrangle les acteurs économiques les plus vulnérables.
N.B. : L’opinion émise dans cette tribune n’engage que son auteur. Elle est l’expression d’un point de vue personnel.