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Transport : À l’heure d’une modernisation incontournable

  • 27 octobre 17:20
  • 8 min de lecture
Transport : À l’heure d’une modernisation incontournable

Le récent accident d’un bus transportant des ouvriers à Mateur rappelle les défis persistants du système de transport tunisien. Entre véhicules vieillissants, contrôles insuffisants et organisation parfois défaillante, la sécurité des passagers reste un enjeu quotidien.

Ces incidents soulignent l’importance d’une modernisation progressive et réfléchie du secteur.

La Presse —Plusieurs personnes ont été blessées suite au glissement d’un bus privé transportant 47 ouvriers alors qu’ils rentraient de leur lieu de travail au sein d’une usine industrielle située à Mateur, dans le gouvernorat de Bizerte. L’incident, survenu jeudi 23 octobre, près de la localité d’El Jefna à Oued Zitoune (entre les délégations de Ghezala et Sejnane), s’est produit lorsque le bus s’est renversé sur l’un de ses côtés, selon une source de la Protection civile.

Les blessés ont été acheminés vers plusieurs hôpitaux de la région et de Tunis pour recevoir les soins nécessaires. Une enquête a été ouverte afin de déterminer les causes exactes de l’accident et d’établir les responsabilités.

Un secteur à bout de souffle

Cet incident remet en lumière les défaillances structurelles du transport routier dans le pays, un véritable talon d’Achille. Si le ministère du Transport tente de renouveler le parc public, les efforts demeurent fragmentés et insuffisants. Les nouveaux équipements — souvent acquis au compte-gouttes ou issus de lots de seconde main — ne suffisent pas à compenser la vétusté générale du parc roulant et le manque d’entretien chronique.

Mais la responsabilité ne repose pas uniquement sur l’État. Les acteurs privés, qu’il s’agisse de transporteurs scolaires, d’entreprises industrielles ou agricoles, partagent également une large part du blâme. Beaucoup continuent à exploiter des véhicules obsolètes, mal entretenus et inadaptés, au mépris de la sécurité des passagers.

Des enfants, des ouvrières et des travailleurs exposés

Le transport scolaire illustre tristement, en effet, cette dérive. Dans de nombreuses garderies et écoles privées, les minibus utilisés ressemblent davantage à des épaves qu’à de véritables moyens de transport sûrs. Pour certains établissements, l’achat d’un véhicule neuf est perçu comme un investissement superflu, faute de rentabilité directe.

Cette logique du «moindre coût» met pourtant en danger des enfants parfois en très bas âge, confiés chaque jour à des véhicules mal entretenus et à des conducteurs souvent peu encadrés. Les contrôles, lorsqu’ils existent, se concentrent principalement sur la conformité des locaux, la salubrité, l’aménagement intérieur ou l’encadrement pédagogique, mais très rarement sur les moyens de transport eux-mêmes. Or, ce maillon essentiel de la sécurité des enfants demeure largement oublié.

Le même constat s’applique aux ouvrières agricoles, souvent transportées dans des conditions indignes. Ces femmes, principales pourvoyeuses de revenus de leurs familles, prennent chaque jour des risques considérables pour rejoindre les exploitations. Les accidents se répètent, souvent graves et parfois mortels, révélant un système défaillant où la précarité et l’injustice sociale s’entremêlent.

Quant au transport des ouvriers industriels, il demeure largement assuré par des promoteurs privés qui cherchent avant tout à réduire les coûts, exposant ainsi des centaines de travailleurs à des risques permanents sur la route. Dans de nombreuses zones industrielles, les véhicules utilisés ne répondent à aucune norme de sécurité minimale : absence d’entretien, surcharge, conducteurs épuisés ou non formés, trajets longs sur des routes mal entretenues.

Le transport devient alors une simple variable d’ajustement économique, où la rentabilité prime sur la sécurité. Et tant que ces pratiques resteront tolérées, les accidents continueront de rappeler, avec brutalité, le prix humain de cette économie à bas coût.

Le transport public, un enjeu stratégique sous-financé

Le transport public n’échappe pas non plus à cette crise structurelle. Bus vétustes, retards chroniques, infrastructures obsolètes, le service public peine à répondre aux besoins d’une population en croissance et à accompagner la transition écologique, malgré l’arrivée récente de bus neufs, notamment en provenance de Chine, qui ont permis de renforcer partiellement le parc existant.

Pourtant, la Tunisie dispose d’atouts pour transformer ce secteur stratégique. Les institutions financières internationales — Banque mondiale, Banque européenne d’investissement, Banque africaine de développement — proposent régulièrement des financements à taux préférentiels, voire à taux zéro, pour les projets à fort impact social et environnemental, notamment dans le cadre du développement durable et de la mobilité verte.

Encore faut-il savoir présenter des dossiers solides, alignés sur les priorités internationales en matière de durabilité, et maîtriser les montages financiers nécessaires. Car si les opportunités existent, elles exigent une vision claire, une capacité de gestion rigoureuse et une coordination efficace entre les différentes parties prenantes, État, collectivités locales et opérateurs publics. C’est à ce prix que la Tunisie pourra espérer moderniser son parc national de transport, réduire son empreinte carbone et garantir à ses citoyens un service à la fois sûr, fiable et respectueux de l’environnement.

Ouvrir le transport public à la concurrence privée

Pour moderniser efficacement le secteur, il serait également pertinent d’envisager une ouverture du transport public aux promoteurs privés, sous un cadre réglementaire strict. Une telle concurrence pourrait inciter les opérateurs à investir dans des véhicules neufs, améliorer la ponctualité et la qualité du service, tout en réduisant la pression sur le budget public.

Bien encadrée, cette démarche permettrait également d’introduire des innovations : systèmes de paiement numériques, services de mobilité flexibles ou parcs plus écologiques. Il ne s’agit pas de privatiser le service, mais de créer un modèle mixte où l’État définit les standards et veille au respect des normes de sécurité et de fiabilité, tandis que les opérateurs privés apportent dynamisme, réactivité et investissement. Une telle stratégie pourrait transformer le transport tunisien en un service sûr, moderne et accessible à tous, tout en préservant l’intérêt général.

Mettre à niveau un secteur vital

Ces accidents, loin d’être de simples fatalités, révèlent l’ampleur de la crise qui secoue un système de transport à bout de souffle. Qu’il s’agisse du transport public ou privé, chaque maillon de la chaîne mérite une remise à plat complète, réfléchie et ambitieuse. Il est impératif, en premier lieu, de renforcer la régulation: les contrôleurs chargés de veiller à la sécurité des établissements scolaires, des garderies ou des exploitations agricoles doivent élargir leur champ d’action et inclure systématiquement l’état des véhicules utilisés.

La mise en place d’un registre national de sécurité des transports apparaît comme une nécessité : y consigner les entreprises autorisées, leurs résultats d’inspection et les sanctions appliquées constituerait un outil de transparence et de responsabilisation jusqu’ici trop absent. 

Parallèlement, la formation et la responsabilisation des transporteurs privés doivent devenir une priorité absolue. Imposer des normes minimales de sécurité, d’entretien et d’assurance n’est pas un luxe, mais un impératif pour protéger les vies humaines qui, chaque jour, prennent la route.

Ces mesures doivent s’accompagner d’un plan national de modernisation du parc de transport, incluant à la fois les parcs publics et les opérateurs privés, soutenu par des incitations fiscales et des mécanismes de financement adaptés. Il ne faut jamais perdre de vue le fait que derrière chaque bus vétuste, chaque camion surchargé ou chaque minibus défaillant, il y a des hommes et des femmes, des enfants et des familles, dont la vie peut basculer en un instant. 

Ignorer cette réalité, fermer les yeux sur un secteur vital en déshérence, ce serait accepter que le risque devienne la norme, que la précarité et le danger routier restent le lot quotidien des citoyens. La Tunisie, qui aspire à la dignité, à la modernité et au progrès social, ne peut plus se permettre de laisser l’un des secteurs les plus fragiles et les plus essentiels de sa vie quotidienne sombrer dans l’abandon.

La sécurité, la responsabilité et la transparence doivent donc cesser d’être des idéaux et devenir le socle concret sur lequel reposera un transport tunisien sûr, moderne et digne de ses citoyens.

Auteur

La Presse