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Culture

Kaouther Ben Henia à propos de « La voix de Hind Rajeb » : « Le cinéma est un acte de résistance »

  • 7 novembre 18:50
  • 6 min de lecture
Kaouther Ben Henia à propos de « La voix de Hind Rajeb » : « Le cinéma est un acte de résistance »

Lors d’une rencontre de presse qui s’est tenue récemment au cinéma Le Colisée, la réalisatrice Kaouther Ben Henia s’est exprimée avec sincérité et sans détours sur les choix qui l’ont poussée à réaliser dans l’urgence ce film.

Kaouther Ben Henia

La Presse — «La voix de Hind Rajeb» sur l’enfant palestinienne qui demande secours, mais qui sera éliminée avec ses proches par l’armée israélienne, a retenti dans le monde entier. Proposé aux Oscars, le film a été récompensé du lion d’argent à la Mostra de Venise et dans plusieurs autres festivals.

Il poursuit encore son périple dans d’autres manifestations cinématographiques internationales. Lors d’une rencontre de presse qui s’est tenue récemment au cinéma le Colisée, la réalisatrice Kaouther Ben Henia s’est exprimée avec sincérité et sans détours sur les choix qui l’ont poussée à réaliser dans l’urgence ce film.

Elle a expliqué que la voix de Hind Rajeb qui demande du secours est la voix la plus douloureuse que j’ai entendue dans ma vie. Il fallait absolument que je réagisse en tant que cinéaste. Filmer est la chose que je sais faire de mieux dans ma vie. J’ai donc contacté le Croissant Rouge, ensuite la mère de Hind Rajeb pour obtenir leur aval.

Cette dernière était à Gaza. Elle a soutenu le film ainsi que les quatre personnages qui étaient en contact téléphonique avec l’enfant. J’avais l’enregistrement de la voix de Hind mais j’ignorais ce qui s’est passé exactement. J’ai commencé à écrire le scénario qui n’était pas complexe puisque l’événement tragique s’imposait de lui-même.

Évoquant le choix du point de vue du Croissant Rouge, la réalisatrice a précisé que son rôle était de rendre compte de l’événement pour qu’il fasse écho dans le monde entier. J’ai voulu parler de cette tragédie du point de vue du Croissant Rouge et mettre en lumière l’incapacité du personnel à secourir un enfant.

Quand j’ai commencé le casting, j’ai cherché des acteurs palestiniens qui ressemblent aux vrais personnages. Les acteurs ont étudié leur rôle avec ceux du Croissant Rouge. J’ai entamé le tournage au mois de novembre 2024 à Tunis durant trois semaines. Le film traite d’un sujet difficile : une tragédie avec une charge d’émotion forte. Mais sa réalisation était facile et rapide. 

Au sujet de la célérité avec laquelle le film a été réalisé, l’auteure du film a signalé que la machine de la propagande israélienne s’est emparée vite de l’événement et a écrit l’histoire à sa façon . Dans ce cas fallait-il se taire et attendre que cela passe. La chaîne de télévision américaine CNN a évoqué à ce propos qu’une femme est morte dans une voiture et non une petite fille.

Paramount a produit une série sur le 7 octobre. L’urgence de l’événement a exigé que je réagisse à chaud. Après la Nakba en 1948, «Exodus» (1960)d’Otto Preminger, film oscarisé donne un point de vue anti-palestinien. En fait, celui qui raconte en premier l’événement fait prendre conscience au spectateur s’il ne va pas jusqu’à toucher son âme et sa sensibilité. J’ai réalisé «La voix de Hind Rajeb» non pas  vite mais dans l’urgence de l’instant.

L’histoire de Hind Rajeb dépasse Hind Rajeb. C’est comme si Gaza criait au secours et que personne ne vient la sauver. Je ne pouvais pas être indifférente et attendre car, à mon sens, le cinéma est un acte de résistance. Il fallait montrer la plaie. Si on était dans un monde idéal qui reconnaît les blessures et les douleurs de Gaza, alors je prendrais tout mon temps pour réaliser le film. On vit dans un monde où si on ne raconte pas rapidement l’histoire, elle risque de s’oublier. 

A propos de l’absence de l’ennemi sioniste, Ben Henia a insisté sur le fait que, pour les Occidentaux, les Gazaouis sont un tas de décombres et non pas des personnes. Les Israéliens ont des noms, on entend leur voix et leur visage. Le fait qu’on me dise pourquoi tu réalises ce  film vite est un argument exprimé par des sionistes qui ne veulent pas que je le fasse.

On peut produire un film que personne ne regarde mais celui-là m’a permis de transmettre la douleur des Palestiniens. Dans le film, l’ennemi existe même si son visage n’apparaît pas. C’est tout un système qui dépasse même les Israéliens. Israël bénéficie du soutien inconditionnel des Occidentaux.

On connaît la provenance des obstacles que le film raconte. Dans les films d’horreur lorsqu’on ne voit pas le visage du diable, on sent plus le danger. Je n’étais pas obligée de montrer le visage du soldat israélien, il est l’un des éléments de la machine israélienne. Les lois en vigueur empêchent même une ambulance de porter secours.

Dans le cas de Gaza, il existe un ensemble de procédures imposées par l’occupant dans le but de rendre la vie des Palestiniens impossible. J’estime qu’il est plus important de montrer les moments d’angoisse d’une équipe du Croissant Rouge que de donner à voir un soldat israélien. L’approche est plus élégante et plus forte. 

Concernant l’approche adoptée, Kaouther Ben Henia a signalé que ses films sont à la frontière du documentaire et de la fiction. J’ai remarqué dans les films produits par des cinéastes du monde arabe qu’on ne parle pas assez de notre réalité. On a un problème avec la réalité souvent  épineuse et conflictuelle.

Il est important pour moi de raconter ce réel qui fait partie de notre mémoire. Chaque film impose son écriture. En abordant la fiction, je voulais imprimer l’instant, celui où Hind Rajeb était encore en vie et qu’il était encore possible de la sauver. Le cinéma crée l’émotion contrairement aux réseaux sociaux et aux news. 

Auteur

Neila GHARBI