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Rentrée littéraire tunisienne : Entre idéal culturel et réalité du marché

  • 8 novembre 18:00
  • 5 min de lecture
Rentrée littéraire tunisienne : Entre idéal culturel et réalité du marché

Chaque année, à l’aube de l’automne, la rentrée littéraire tunisienne déploie son florilège de nouvelles parutions : romans, essais, récits de voyage ou même polars. Un festival d’idées et de styles qui, sur le papier, incarne un dynamisme culturel fort. Pourtant, derrière cette effervescence éditoriale, la réalité du marché tunisien semble bien plus contrastée. 

La Presse — Depuis la fin de l’été jusqu’au début du mois de novembre, période correspondant à la rentrée littéraire, les éditeurs lancent un grand nombre de publications. Les passionnés de lecture se réjouissent de voir les séances de présentation et de dédicaces se multiplier. Mais si autant de livres de tous genres paraissent simultanément, une effervescence commerciale suit-elle réellement ?

Le rapport prix, qualité et quantité

En termes de nombre, les parutions coïncidant avec la rentrée se comptent par dizaines. Difficile de donner un chiffre exact, car les maisons d’édition publient des auteurs tunisiens, des étrangers résidant en Tunisie, ainsi que des ouvrages étrangers traduits ou conservés dans leur langue d’origine. Le choix ne manque donc pas.

Plusieurs genres sont proposés : polars, romans jeunesse, ouvrages de recherche …

Côté présentation, les couleurs et les couvertures cartonnées ne sont plus une exception, certaines étant même réalisées par des designers professionnels. Le travail sur la forme est indéniable, de quoi séduire un large public qui « juge le livre à sa couverture ». 

L’originalité et la valeur du fond relèvent, quant à elles, du subjectif. C’est toujours une question de goût personnel. Mais, on sait que des auteurs tunisiens décrochent chaque année des distinctions hors frontières.

Après le coup de foudre pour une couverture ou un thème, c’est souvent le prix qui ramène le lecteur sur terre. Peu d’œuvres sont proposées à moins de 30 dinars, un chiffre expliqué par la hausse générale des coûts. Face à un pouvoir d’achat limité, beaucoup se contentent d’admirer les vitrines sans acheter. Les éditeurs ne sont pas à blâmer. Ils ont des dépenses à couvrir, pas plus que ceux qui repartent les mains vides.

Une grande faille au niveau de la promotion

Qu’on le veuille ou non, un livre est aussi un produit commercial censé générer des gains. Une stratégie marketing s’impose donc pour attirer les acheteurs potentiels. Mais où en est-on ? D’abord, comment annonce-t-on les nouvelles parutions ? Les séances de dédicaces se limitent aux grandes villes et attirent rarement plus d’une vingtaine de personnes. Les journaux publient des articles que peu de lecteurs consultent. Nos émissions littéraires, souvent animées par des gens de lettres, proposent un contenu élitiste, éloigné des attentes d’un public plus large.

Il en est de même pour les rencontres organisées par divers instituts et fréquentées par les mêmes fidèles, sans réelle capacité à élargir leur audience. Même les grands prix littéraires qui font exploser les ventes ailleurs peinent ici à influencer le marché. Ces distinctions ne font pas des lauréats des célébrités ni des figures publiques influentes.

Certes, des groupes de lecture et quelques « influenceurs littéraires» offrent une visibilité bienvenue. Il faut faire du livre une tendance, un must-have.Mais en l’absence d’une stratégie marketing concertée impliquant écrivains, éditeurs, distributeurs et autres acteurs,  les résultats espérés tardent à venir. 

Quand on voit comment les best-sellers étrangers envahissent même les stations de métro avec des affiches percutantes et des campagnes publicitaires originales sur les différentes plateformes, on comprend qu’il reste encore beaucoup à faire si l’on veut véritablement faire évoluer ce secteur.

Peut-on vivre de sa plume en Tunisie ?

Face aux réalités du marché, il est difficile, voire impossible, de faire de l’écriture un métier à part entière. Contrairement aux idées reçues, la part de l’auteur ne dépasse pas 10 % du prix du livre. Certains ne perçoivent aucune rémunération, seulement quelques exemplaires à distribuer. D’autres publient à compte d’auteur. Ce sont eux qui paient souvent à des imprimeurs déguisés en éditeurs.

L’écriture se réduit ainsi à une passion, une activité secondaire bien loin du statut de métier. La plupart des auteurs sont enseignants, d’autres médecins, ingénieurs, voire étudiants… bref, tout sauf écrivains à plein temps.

Le commerce des livres d’occasion, un concurrent redoutable

On a beau inciter les Tunisiens à lire. Or, quand une majorité se tourne vers les livres d’occasion, c’est tout un secteur qui risque de s’effondrer. Aux prix compétitifs des bouquinistes s’ajoutent désormais les offres en ligne, via des vendeurs professionnels ou des groupes d’échange entre particuliers.

Leur attrait ne cesse de croître, d’autant qu’ils proposent parfois des éditions tunisiennes récentes, ce qui menace directement les ventes déjà fragiles des librairies. Peut-on leur en vouloir ? Après tout, l’essentiel est que les Tunisiens puissent lire à petit prix. Mais comment concilier cela avec la nécessité de soutenir les auteurs pour qu’ils continuent à écrire, les éditeurs pour qu’ils acceptent encore plus de manuscrits et les libraires pour que leurs vitrines soient bien garnies?

Une équation complexe… Assumons chacun notre part : profitons des nouvelles parutions littéraires tunisiennes et soyons des maillons responsables de la chaîne du livre.

Auteur

Amal BOU OUNI