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Développement – Nouvelle carte économique du pays : Construire une Tunisie polycentrique

  • 12 novembre 18:20
  • 6 min de lecture
Développement – Nouvelle carte économique du pays : Construire une Tunisie polycentrique

La Tunisie peine encore à dépasser ses déséquilibres régionaux, malgré une richesse naturelle et humaine exceptionnelle. Et si on repensait enfin son développement en fonction des forces réelles de ses territoires ? Une nouvelle lecture économique du pays invite à assumer les vocations spécifiques de chaque région pour bâtir une croissance plus cohérente, plus efficace et véritablement inclusive.

La Presse — Plus d’une décennie après la révolution, la Tunisie cherche toujours la voie d’un développement équilibré. Les écarts régionaux demeurent criants : les zones côtières concentrent près de 80 % des investissements et de l’emploi industriel, tandis que les régions de l’intérieur continuent de souffrir d’un sous-développement structurel.

Pourtant, le pays dispose d’une diversité naturelle, humaine et géographique exceptionnelle : plaines fertiles au Nord, littoral industriel au Centre, désert solaire au Sud, montagnes riches en ressources à l’Ouest.

Face à cette mosaïque, plusieurs économistes plaident pour un modèle de spécialisation régionale, un découpage économique du territoire qui valoriserait les vocations naturelles et humaines de chaque région, tout en renforçant la cohésion nationale.

De l’avis de plusieurs économistes tunisienS et étrangers « la Tunisie doit accepter de ne pas tout faire partout. Il est temps de reconnaître que chaque territoire a sa mission : produire, transformer, innover ou relier. C’est ainsi que naîtra une croissance inclusive».

Un pôle agro-industriel et logistique méditerranéen dans le Nord et le Cap Bon

Le Nord tunisien, de Bizerte à Nabeul, possède de solides atouts naturels et une ouverture maritime privilégiée. Le Cap Bon peut devenir la vitrine de l’agriculture biologique et de l’agro-industrie d’exportation. Ses agrumes, ses légumes primeurs et ses produits transformés trouvent déjà preneurs en Europe. 

Bizerte et Béja, ces régions fortes d’un patrimoine agricole et laitier, pourraient accueillir des clusters agroalimentaires intégrant production, transformation et conditionnement. La proximité des ports de Bizerte et de La Goulette offre la possibilité de créer un corridor logistique méditerranéen tourné vers l’export et l’Afrique. 

Ces régions pourraient ainsi devenir le grenier moderne de la Tunisie, combinant agriculture durable, industrie alimentaire et connectivité maritime.

Industrie, santé et tourisme durable dans le Sahel et le Centre

Le Sahel (Sousse, Monastir, Mahdia) est depuis longtemps un moteur industriel et touristique. Son avenir réside toutefois dans la montée en gamme et la diversification. Sousse pourrait renforcer son rôle de pôle technologique et industriel, axé sur la mécanique fine, l’électronique et les biotechnologies.

Monastir, déjà reconnue pour son textile, peut évoluer vers le textile technique et la recherche médicale. Mahdia, de son côté, dispose du potentiel pour développer un tourisme écologique et de bien-être, combinant hospitalité, culture et environnement marin.  Le centre du pays, notamment Kairouan, Sidi Bouzid et Kasserine, pourrait devenir un bassin agroalimentaire intégré, valorisant les produits du terroir : huile d’olive, légumes secs, plantes aromatiques.

Une politique d’irrigation intelligente et de transformation locale permettrait d’y créer de la valeur ajoutée et de l’emploi durable. Si le centre du pays devient le cœur agricole et le Sahel la main industrielle, nous aurons enfin une chaîne de valeur nationale cohérente.

Énergie, ressources et écotourisme dans le Sud

Longtemps marginalisé, le Sud tunisien détient pourtant des ressources stratégiques : soleil, vent, espace et un patrimoine naturel exceptionnel. Gabès et Médenine pourraient évoluer vers une industrie chimique verte, misant sur la valorisation durable du phosphate et le recyclage des sous-produits. Gabès a aussi un grand potentiel touristique à explorer.

Tataouine, Kébili et Tozeur représentent le cœur du pôle énergétique solaire et éolien. Le Sahara tunisien, avec son fort ensoleillement, peut devenir un acteur clé de la transition énergétique africaine. Parallèlement, l’écotourisme saharien, campements écologiques, circuits culturels, tourisme scientifique offriraient une alternative au tourisme de masse.

Les oasis du Sud constituent, enfin, des laboratoires naturels pour l’agriculture résiliente et la gestion durable de l’eau. Le Sud n’est pas un désert économique, il a plutôt les moyens de devenir un laboratoire d’avenir. 

Innovation, finance et économie du savoir dans le Grand Tunis

Le Grand Tunis, moteur administratif et intellectuel du pays, doit assumer pleinement son rôle de capitale de l’innovation. Il peut se spécialiser dans les secteurs à haute valeur ajoutée: services financiers et fintech, économie numérique, design et ingénierie logicielle et enseignement supérieur, recherche et création culturelle.

Un écosystème d’innovation associant universités, incubateurs et entreprises peut positionner Tunis comme pôle de la connaissance pour l’Afrique du Nord et la Méditerranée. Mais ce développement doit s’accompagner d’une décentralisation économique réelle, afin d’éviter une hyper-concentration des richesses dans la capitale.

Ressources, agriculture de montagne et économie verte dans l’Ouest 

Les régions de l’Ouest (Le Kef, Siliana, Gafsa) restent parmi les plus défavorisées. Pourtant, elles disposent d’un potentiel divers et certain. Le Kef et Siliana pourraient devenir un pôle de production laitière, fromagère et forestière. Gafsa, au-delà du phosphate, peut investir dans la reconversion industrielle verte : réhabilitation des sites miniers, formation technique et énergies renouvelables. Ces régions de moyenne montagne sont aussi propices au tourisme rural et culturel, offrant un lien direct entre patrimoine et développement local.

De l’idée à l’action

Pour réussir ce découpage fonctionnel, la Tunisie devra mettre en place une planification territoriale participative, associant régions et secteur privé, des incitations fiscales et logistiques différenciées selon la spécialisation de chaque zone, des corridors de transport reliant les pôles productifs entre eux, un fonds national d’aménagement économique garantissant l’équité des investissements publics.

Cette approche, inspirée de modèles réussis en Espagne, au Brésil, au Maroc et surtout en Chine, repose sur la conviction que l’unité nationale se renforce par la complémentarité économique. Car une Tunisie polycentrique, où chaque région joue sa partition, sera plus forte, plus stable et plus attractive. Un tel découpage économique du territoire n’est pas qu’un projet technique. 

Cela constitue un changement de vision pour ainsi passer d’une économie concentrée sur le littoral à un pays où chaque région devient un moteur spécifique de la croissance nationale. En valorisant ses diversités naturelles et humaines, la Tunisie pourrait devenir un modèle de développement territorial intégré en Afrique du Nord. 

Un pays où le Nord et le Centre nourrissent, le Sahel transforme, le Sud alimente, et Tunis innove.

Auteur

Mohamed Hedi ABDELLAOUI

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