« Put Your Soul on Your Hand and Walk » de Sepideh Farsi : La photographie comme voix et mémoire
Pour l’ouverture de la 10e édition du festival «Human Screen», qui se tient cette année du 11 au 15 novembre, les organisateurs ont tenu à placer Gaza au cœur du programme.
La Presse — Le film « Put Your Soul on Your Hand and Walk » est un documentaire en anglais de 1h50 réalisé par Sepideh Farsi, cinéaste d’origine iranienne installée en France. Il a été projeté dans de nombreux festivals internationaux et sélectionné dans le programme Acid présenté en parallèle du Festival de Cannes 2025.
Le film suit Fatima Hassouna, photojournaliste palestinienne qui documentait la vie des civils pendant la guerre à Gaza. Il s’appuie sur les images et les enregistrements sonores échangés entre Fatima et la réalisatrice durant près d’une année.
Sepideh Farsi est intéressée de près par la cause palestinienne. Elle s’est même rendue jusqu’en Égypte dans l’espoir de pouvoir entrer à Gaza. Confrontée au blocus, elle a dû rebrousser chemin. Lorsqu’elle a fait la connaissance de Fatima, qu’elle appelait affectueusement « Fatem », leurs discussions portaient d’abord sur la situation générale du pays avant qu’une véritable affinité ne s’installe entre elles, transformant leur relation en un lien humain et émotionnel au-delà du cadre documentaire.
Fatima avait 24 ans, soit le même âge que la fille de la réalisatrice, comme cette dernière le mentionne dans le film. « Chaque échange entre nous était un miracle », confie Sepideh Farsi, ajoutant qu’elle redoutait que chaque conversation ne soit la dernière.
La jeune femme a raconté son vécu bouleversant avec un visage souriant tout au long du film, un sourire radieux de détermination et de fierté, comme elle le souligne elle-même : « Je n’ai peur de rien », dit-elle dans le documentaire. Les détails qu’elle partage ne concernent pas seulement sa propre vie, mais témoignent de la souffrance de tout son peuple.
Fatima vivait dans une seule pièce avec neuf membres de sa famille, le reste de leur maison à Al-Tuffah, au nord de Gaza, ayant été détruit par les bombardements. Ses échanges avec la réalisatrice révèlent progressivement l’ampleur de la situation désastreuse, que même l’espoir ne peut dissimuler. Ils devaient se contenter de « tout ce que mangent les animaux », les denrées alimentaires se faisant de plus en plus rares. L’eau était contaminée et, avec la flambée des prix, ils pouvaient payer jusqu’à 50 dollars pour une cigarette.
Artiste accomplie, Fatima était passionnée de chant et de guitare en plus de son grand intérêt pour la photographie. Elle profitait des trêves pour photographier et filmer les décombres qui l’entouraient ainsi que la vie des habitants. Son objectif saisissait à la fois les dégâts matériels causés par les bombardements et les moments de résilience quotidienne de ceux qui survivent malgré tout.
Ces images témoignent de la réalité brutale à Gaza, tout en capturant l’humanité et la dignité de ses habitants au milieu du chaos. Fatima partageait ensuite les photos avec son amie iranienne, sa seule fenêtre sur le monde. La photographie se fait ainsi acte de résistance, portant les cris de sa ville à travers son objectif.
Le film fait alterner des extraits de conversations filmées entre les deux femmes avec des passages de journaux télévisés ou d’autres vidéos afin de contextualiser les échanges entamés trois mois après le déclenchement de la guerre. Les vidéos appuyaient les propos de la jeune Gazaouie et on y voit même une séquence d’un discours de Netanyahu.
La réalisatrice, elle-même exilée en France, partageait avec Fatima le poids de sa souffrance et suivait de près les nouvelles sur les évacuations successives parallèlement aux bombardements incessants. « Notre vie est pourtant simple, et ils veulent quand même nous en priver », confie Fatima.
La situation se dégrade progressivement au fil des mois, alors que la réalisatrice espère à chaque fois retrouver son interlocutrice. La famine devient désormais une réalité et les aides alimentaires sont bloquées. Un seul hôpital reste fonctionnel. Leur quotidien est marqué par la peur et des nuits d’insomnie, entre bombardements incessants et présence de snipers à chaque coin de rue. « Chaque fois que tu descends dans la rue, tu mets ton âme dans ta main », raconte Fatima, d’où le titre du film. Elle a perdu des personnes qui lui étaient chères, « parties sans prévenir ».
« Ma vie d’avant me manque », dit-elle en larmes, mais avec un sourire de résilience qui l’empêche de s’effondrer.
Les photos qu’elle montre dans le documentaire racontent le mal qui sévit à Gaza. Et, malgré ce présent désespérant, Fatima a gardé son âme d’enfant. Elle rêvait de chocolat, de parcs d’attractions, du Festival de Cannes… Mais par-dessus tout, elle rêvait de reconstruire Gaza à la fin de l’occupation.
« Je ne souhaite pas partir d’ici. Je voudrais parcourir le monde, puis retourner à Gaza », répète-t-elle dans le film. Elle s’apprêtait alors à se rendre à Cannes pour la projection du documentaire qui raconte son histoire à grande échelle. Mais les génocidaires en ont décidé autrement. Elle a été assassinée le 16 avril 2025 avec sa famille durant leur sommeil.
Le film précise que jusqu’au 2 mai 2025, 211 journalistes avaient été tués. La réalisatrice Sepideh Farsi tient cependant à ce qu’ils ne soient pas réduits à de simples statistiques. Tout comme Fatima, chacun a un nom, une vie et des rêves d’un avenir meilleur. Ce documentaire qui s’est concentré sur un destin individuel vise à témoigner de leur souffrance collective et à faire entendre leur voix. Il montre aussi le rôle de l’art pour véhiculer un contenu aussi saisissant que les mots, ou même plus.