La roue économique tunisienne tourne lentement. En effet, elle reste freinée par la lourdeur de ses réformes. Pourtant, un vent d’innovation continue de souffler, porteur d’espoir pour le pays. À la croisée de l’entrepreneuriat, du conseil et de la transformation des écosystèmes, Ghazi Saddem, expert en management et en innovation, estime que « le véritable enjeu n’est plus de créer des startups, mais de bâtir un écosystème capable de se financer, de se structurer et de s’investir lui-même ».
La Presse — Entre le « Startup Act », l’essor du capital-risque et la montée en puissance des partenariats entre grandes entreprises et jeunes pousses, la Tunisie tente aujourd’hui de franchir un cap : passer d’une logique d’appui public à une culture d’investissement privé fondée sur la performance et la confiance.
Dans ce contexte, Ghazi Saddem met en lumière les leviers encore sous-exploités, les blocages culturels à dépasser et les signaux positifs d’un écosystème en pleine évolution : celui d’« une génération d’entrepreneurs lucides, rigoureux et ambitieux, capables de transformer la contrainte en valeur et l’idée en modèle durable ».
Un accompagnement pour les stratégies d’innovation
Ghazi Saddem a indiqué qu’il avait travaillé depuis plus d’une dizaine d’années « à la croisée de l’entrepreneuriat, du conseil et de la transformation des écosystèmes ». Il a accompagné plusieurs startups, en Tunisie comme à l’étranger, et il a participé à la conception ainsi qu’à la mise en œuvre de nombreux programmes d’accélération et de structuration en Afrique et dans la région Mena.
Ghazi a précisé que son parcours l’avait conduit à intervenir « aussi bien auprès de fondateurs que d’investisseurs, d’entreprises et d’institutions publiques, avec un fil rouge constant: aider les entrepreneurs à transformer leurs idées en modèles viables et à faire des écosystèmes de véritables moteurs de création de valeur, plutôt que de dépendance ».
Aujourd’hui, Ghazi Saddem a souligné qu’il intervenait principalement comme « Startup Advisor, Management & Innovation Consultant et Ecosystem Builder ». Il accompagne des institutions publiques et privées dans leurs stratégies d’innovation, de digitalisation et d’appui à l’entrepreneuriat, tout en travaillant sur des initiatives de long terme visant à renforcer la compétitivité du tissu entrepreneurial tunisien et africain.
Ghazi a insisté sur le fait que son approche restait profondément ancrée dans le terrain: « Comprendre les réalités locales, connecter les talents, structurer les partenariats et faire de l’innovation un levier de transformation concrète et mesurable ».
Ce qui le motive profondément, a-t-il expliqué, c’est « de voir émerger une nouvelle génération d’entrepreneurs lucides, structurés et ambitieux, capables de créer de la valeur localement tout en parlant le langage du monde ». C’est dans cette énergie collective, entre rigueur et audace, qu’il continue à investir son temps et son expérience.
Ghazi Saddem a observé que « le financement des startups tunisiennes reste sans doute le test le plus révélateur de la maturité de l’écosystème national ». Malgré un contexte économique tendu, plusieurs leviers existent, encore faut-il apprendre à les articuler intelligemment. Le premier pilier demeure le Startup Act, une initiative pionnière sur le continent.
« En instaurant un cadre légal et fiscal favorable à la prise de risque, ce dispositif a permis à une génération d’entrepreneurs de franchir le pas », a-t-il précisé. Grâce à ses avantages, à son mécanisme de labellisation et au fonds de fonds ANAVA, il a enclenché « une dynamique structurante dans le financement de l’innovation ».
Cependant, Ghazi a noté que ce dispositif devait désormais évoluer « vers une version plus fluide dans son exécution, plus agile dans sa gouvernance et mieux connectée à l’écosystème du Venture Capital (VC) ». Sans cette interopérabilité, a-t-il averti, « l’effet d’entraînement restera limité ».
Le deuxième levier, a poursuivi Ghazi, concerne l’intensification du capital-risque en Tunisie, qui commence à offrir « une alternative plus adaptée que les mécanismes financiers traditionnels, souvent trop bancaires, prudents ou rigides pour des entreprises à forte croissance ». Il a souligné que « de plus en plus d’acteurs – fonds d’investissement locaux, business angels, investisseurs de la diaspora – s’impliquent dans l’amorçage et l’accompagnement ».
En parallèle, « la Tunisie attire une attention accrue d’investisseurs internationaux, notamment africains et européens, séduits par la qualité des talents et la montée en compétence des startups locales ». Ghazi a précisé que ce mouvement, encore jeune, traduisait « une évolution culturelle importante : le financement par le risque devient progressivement plus légitime que le financement par la garantie ».
« Un acte de compréhension »
Un troisième levier, souvent sous-estimé, a-t-il remarqué, est celui des subventions et des financements à fonds perdus. « Ces subventions, issues de programmes de coopération ou de concours, ont joué un rôle d’amorçage essentiel, mais elles ne constituent pas un modèle soutenable à long terme.
Elles doivent être perçues comme un tremplin, non comme une dépendance ». Il a insisté sur la nécessité de passer « vers des modèles d’investissement fondés sur la performance, la prise de risque et le partage de valeur ». Enfin, a-t-il ajouté, « les mécanismes hybrides et partenariats institutionnels (fonds de garantie, instruments quasi-capitaux, cofinancements avec bailleurs) peuvent jouer un rôle catalyseur, à condition d’être intégrés dans une vision nationale cohérente ».
L’enjeu, selon lui, est de faire converger « capital public, capital patient et capital à impact vers des filières stratégiques où la Tunisie peut se différencier : climat-tech, agri-tech, health-tech ou industrie numérique, notamment dans l’intelligence artificielle ». « Le véritable problème n’est pas le manque de liquidité, mais la fragmentation du capital et le déficit de confiance systémique », a-t-il expliqué. Il a également noté « l’intérêt croissant des groupes tunisiens pour les startups.
S’ils s’y engagent sérieusement, en créant leurs propres branches de Corporate Venture Capital (CVC), cela pourrait marquer un tournant décisif : le passage d’un écosystème dépendant du soutien public à un écosystème investisseur de lui-même ». Saddem a observé que « les startups tunisiennes qui réussissent se distinguent avant tout par leur clarté : elles ne cherchent pas à plaire à tout le monde, mais à résoudre un problème précis pour un client précis ».
Leur innovation n’est pas un geste technique, mais « un acte de compréhension ». Elles observent, testent, échouent vite, apprennent, puis ajustent. Ce pragmatisme, souvent né de la contrainte, crée une forme de justesse : leurs produits répondent à des besoins réels dans des contextes complexes.
On le constate dans l’agriculture, la logistique, la santé, l’éducation ou la fintech: autant de secteurs où la technologie n’est qu’un moyen et où la vraie valeur réside dans « la capacité à écouter et à simplifier la vie de l’utilisateur ». Ghazi a affirmé que « ces startups humanisent l’innovation et prouvent qu’il est possible d’être ambitieux et accessible, ancré localement tout en restant ouvert régionalement ».
Il a ensuite souligné que ce réalisme s’accompagnait d’une autre qualité essentielle : « La rigueur. Les startups qui inspirent confiance aux investisseurs ne se contentent pas d’avoir un bon produit ; elles savent le faire grandir intelligemment ». Là où beaucoup confondent croissance et scalabilité, elles font la différence : « La croissance, c’est aller vite ; la scalabilité, c’est pouvoir continuer à grandir sans se perdre ».
Il a noté par la suite que « ces entreprises structurent leurs processus, leurs revenus et leur gouvernance de manière à pouvoir se reproduire sans dépendre d’un financement constant. Cette discipline inspire confiance, car elle traduit une vision à long terme ».
Une réelle volonté d’apprentissage mutuel
Selon lui, ce sont « ces startups lucides, structurées et centrées sur la valeur réelle qui redéfinissent aujourd’hui l’image de l’entrepreneuriat tunisien : des entreprises capables de grandir sans artifice, de convaincre sans bruit et de bâtir pas à pas la crédibilité d’un écosystème en pleine maturité ». En somme, Ghazi Saddem a conclu que « les startups tunisiennes qui réussissent le mieux ne sont pas celles qui promettent le plus, mais celles qui comprennent le mieux ».
Concernant la collaboration entre grandes entreprises et startups, Ghazi a noté qu’elle progresse, mais reste à un stade d’expérimentation. Ces dernières années, plusieurs groupes dans la banque, les télécoms, l’énergie ou l’industrie ont lancé « des hackathons, des programmes d’incubation, des appels à projets ou des collaborations ponctuelles pour répondre à des défis précis : digitalisation, efficacité opérationnelle, nouveaux services ou transformation interne ».
Cependant, Saddem a observé que « ces démarches, souvent limitées à des projets pilotes, permettent de créer un premier lien de confiance entre deux cultures d’organisation très différentes ». Toutefois, il a reconnu que « ces initiatives demeurent encore centrées sur des actions d’image ou d’innovation périphérique, rarement intégrées au cœur des stratégies métiers ».
Il a précisé que « les partenariats qui réussissent s’appuient sur une réelle volonté d’apprentissage mutuel. Lorsqu’une grande entreprise accepte de codévelopper un produit avec une startup, la dynamique change : la collaboration devient un espace d’expérimentation où la créativité et la rapidité des jeunes pousses rencontrent la solidité et les ressources des grands groupes ».
Selon lui, « ces interactions, encore modestes en nombre, favorisent une montée en maturité des deux côtés et traduisent une demande croissante de proximité et de sens. Les grandes entreprises ne cherchent plus seulement à soutenir les jeunes promoteurs innovants, mais à identifier de véritables partenaires capables d’apporter une valeur opérationnelle tangible ».
Enfin, il conclut que « cette relation se professionnalise peu à peu. Les grandes entreprises découvrent que la collaboration avec les startups n’est pas un geste symbolique, mais un levier stratégique de modernisation. Elles y trouvent un moyen concret d’accélérer leur transformation, tandis que les startups y gagnent crédibilité, apprentissage et accès au marché ». C’est, selon lui, « dans cette convergence entre l’agilité des unes et la structure des autres que se construit aujourd’hui la dynamique la plus prometteuse de l’écosystème tunisien ».