Conférence Internationale sur le Rôle des Femmes dans l’Histoire Méditerranéenne : Traces et influences des grandes déesses méditerranéennes
De l’héritage d’Isis en Tunisie aux réflexions sur l’évolution du rôle des femmes, cet événement a offert de nouvelles perspectives sur les échanges culturels et l’importance du dialogue intercivilisationnel.
La Presse — La fondation Ben Abbes a organisé le 13 novembre une conférence internationale présidée par SAR la Princesse Léa de Belgique intitulée «de Tanit à Isis : figures féminines et héritages contemporains». Mise en place par M. Mahmoud Ben Abbes, conseiller en diplomatie économique du Royaume de Belgique ainsi que plusieurs personnalités belges, cette fondation s’est fixé un objectif philanthropique essentiel en contribuant à la consolidation des échanges scientifiques, pédagogiques, culturels et socioéconomiques entre le Royaume de Belgique et la République tunisienne.
La conférence qui s’est tenue au palais Ennejma Ezzahra a réuni de nombreux ambassadeurs, de grands noms de la scène culturelle tunisienne et des journalistes. Trois interventions ont meublé la soirée : Pr Christian Cannuyer, historien et orientaliste, docteur en égyptologie et président de la Société royale belge d’études orientales depuis 1994, Pr Mohamed Hassine Fantar, historien, archéologue et universitaire tunisien, puis Dr Zakia Loum, enseignante-chercheur en histoire, archéologie et numismatique antiques et directrice du Musée de la monnaie.
La conférence a été modérée par Dr Boutheina Gharbi, chercheuse en développement durable et design social et associée au Smithsonian Institution et au Réseau des Grands Sites de France. Elle a souligné l’importance de rendre hommage aux femmes par la recherche et les passerelles interculturelles. Cette conférence internationale, qui porte sur des figures féminines fondatrices de la Méditerranée, confirme notre besoin continu du dialogue, de la mémoire pour s’ouvrir à de nouveaux horizons.
Isis, de l’Egypte à la Tunisie
Après les allocutions d’ouverture, la première intervention a été présentée par Pr Christian Cannuyer, ayant pour thème «Le culte d’Isis en Tunisie, traces archéologiques mémoire et héritages méditerranéens». Par sa méthode captivante de présenter des données de recherches et son sens de l’humour, il nous a livré des informations surprenantes.
En effet, le culte de la déesse égyptienne Isis et de sa famille s’est répandu dans tout le bassin méditerranéen à l’époque hellénistique. Des égyptologues belges de la Fondation égyptologique Reine Élisabeth, que celle-ci a contribué à créer après avoir été l’une des premières à visiter le tombeau de Toutankhamon découvert en 1922, sont parmi ceux qui ont bien étudié le phénomène.
Pr Cannuyer est revenu sur la légende de cette déesse qui exerçait sa puissance bienfaisante dans la vie quotidienne comme dans l’au-delà. Elle était un modèle d’épouse et de mère, notamment par le mythe de l’amour salvateur qui a permis à son époux Osiris de ressusciter. La religion isiaque est donc l’une des premières religions universelles par la puissance du message.
Par le paradigme de l’amour porté par Isis à Osiris, l’homme peut espérer le salut universel. Elle était adorée par les Égyptiens depuis déjà deux millénaires lorsque son culte a commencé à se propager au-delà du Nil pour gagner le reste de l’Empire romain. Ainsi, le culte d’Isis n’est guère attesté en Tunisie actuelle avant l’époque romaine et la chute de Carthage puisque c’était avant le domaine de Tanit la grande déesse punique et de Ba’alHammon.
Les sites, statues, stèles et inscriptions isiaques sont nombreux en Tunisie. Pr Cannuyer a fait défiler des photos de sites archéologiques tunisiens et d’éléments exposés au musée du Bardo qu’il a visité le jour précédent la conférence avec SAR la Princesse Léa de Belgique. Une statue de Serapis, autre nom d’Osiris, a été retrouvée dans un temple à Dougga dont les fondateurs sont probablement Alexandrins.
Un temple de Serapis figurait à Carthage à l’actuel Boulevard de l’environnement. Trois têtes de Serapis ont été retrouvées à Carthage dont l’une est exposée au Louvre. Bien d’autres témoins ont été retrouvés au quartier khaireddine actuel. Il y a même une représentation d’un prêtre égyptien dans des mosaïques à El Jem… Tous ces indices prouvent que le culte égyptien était présent, en plus des analogies entre Isis et Tanit, les deux plus grandes déesses protectrices et salvatrices que l’Antiquité nous a léguées.
La Tunisie, un carrefour de civilisations et de cultures
Pr Mohamed Hassine Fantar a évoqué dans son intervention la richesse historique de notre pays, comme des traces de l’homme de Néandertal qui ont été découvertes dans la région d’El Guetar à Gafsa. «Il faut présenter son histoire soi-même et ne pas l’apprendre de la part des intermédiaires», dixit Pr Fantar. Il a rappelé dans ce sens que nos ancêtres étaient de grands navigateurs et savants.
La première constitution au monde était à Carthage, exaltée par Aristote lui-même. Magon, père de l’agronomie moderne, nous a livré la première encyclopédie au monde dans ce domaine. Il a également rappelé les différentes civilisations qui ont façonné notre histoire avec des influences culturelles multiples et que, dans ce contexte, le latin a été notre langue parlée pendant près de 7 siècles.
«La Tunisie a toujours été plurielle », souligne Pr Fantar, en poursuivant que «Nous devons repenser notre manière de saisir le passé pour bâtir un futur». Il a clôturé son discours en remerciant la Belgique d’avoir été parmi les pays qui ont reconnu l’Etat palestinien.
Pr Zakia Loum a enchaîné par une communication intitulée «Numismatique et représentations symboliques féminines». En partant d’une citation de Babelon «La monnaie est le journal illustré du pouvoir», elle a expliqué qu’en plus de l’intention morale ou politique, la monnaie était également un outil privilégié de l’allégorie qui transforme une idée en un visage humain.
Du sacré au politique, c’est une sorte d’archives, un miroir des civilisations au fil des siècles. Les figures féminines représentées véhiculaient des valeurs morales et de spiritualité, loin de la brutalité et la domination violente.
Les communications présentées lors de cette conférence ont été enrichies par les échanges avec le public présent. Le célèbre philosophe, anthropologue et islamologue tunisien, Youssef Seddik, a été fortement applaudi pour son intervention qui rattache l’étymologie de «Tanit» au mot arabe «Ta’anith», dont la proximité selon lui ne peut être une simple coïncidence. SEM l’ambassadeur du Congo a également fait part de sa réflexion sur la dégradation du statut de la femme à l’époque moderne par rapport à la gloire de l’Antiquité.
La conférence a été clôturée avec la voix exceptionnelle de la chanteuse tunisienne Aida Niati par une performance musicale qui a fasciné l’audience.
Notons que le programme de la visite de SAR la Princesse Léa de Belgique comprend également une visite à Testour, puis Teboursouk pour l’inauguration d’une Résidence d’artistes et le site archéologique de Dougga. Nous y reviendrons.