Tribune – Les retraités tunisiens face à l’impôt : Une discrimination difficile à justifier
Par Skander SALLEMI, conseiller fiscal
Les retraités tunisiens, comme l’ensemble des citoyens, subissent de plein fouet l’érosion continue de leur pouvoir d’achat. L’inflation, la hausse des prix des médicaments, les dépenses de santé croissantes et le besoin d’un encadrement plus important pèsent lourdement sur leur budget. A cela s’ajoute un autre facteur rarement discuté : l’érosion fiscale, qui continue de les affecter même après la fin de leur vie active.
Pour beaucoup, la retraite signifie une baisse substantielle des revenus. Les pensions restent inférieures aux salaires perçus durant la période d’activité, un phénomène particulièrement accentué chez les fonctionnaires qui perdent en plus divers avantages en nature : voiture de service, indemnités et frais de mission, jetons de présence ou autres facilités matérielles liées à la fonction.
Dans le secteur privé, la transition est tout aussi brutale, notamment pour les cadres et les dirigeants. Les pensions y sont plafonnées : bien que les cotisations au régime de sécurité sociale soient calculées sur le salaire réel — souvent majoré par des primes, bonus ou avantages en nature —, le calcul de la retraite, lui, s’effectue sur un salaire plafonné, inférieur au salaire effectivement soumis aux cotisations. Pour les managers, directeurs et hauts cadres, cela entraîne une chute de revenus particulièrement sévère, sans rapport avec le niveau de vie auquel ils étaient habitués durant leur carrière.
A cela s’ajoute un phénomène social de plus en plus répandu : le retard de l’âge du mariage. Nombre de retraités continuent ainsi à financer les études et les frais de scolarité de leurs enfants alors qu’ils doivent affronter simultanément l’augmentation rapide des coûts des soins et des produits médicaux.
Une générosité fiscale envers les retraités étrangers… mais pas envers les Tunisiens
A ce tableau déjà complexe s’ajoute une situation fiscale qui interpelle. La législation tunisienne se montre étonnamment généreuse envers deux catégories de retraités, à savoir les retraités étrangers qui choisissent de s’installer en Tunisie et les retraités tunisiens résidents à l’étranger qui transfèrent leurs pensions en Tunisie après un changement de résidence. L’article 37 du Code de l’impôt sur le revenu des personnes physiques et de l’Impôt sur les Sociétés leur accorde en effet un abattement fiscal de 80 % sur le montant de leur retraite. Autrement dit, ils ne paient l’impôt que sur 20 % de leur pension. En comparaison, les retraités tunisiens résidents en Tunisie ne bénéficient que d’une déduction maximale de 25 %. Cette différence de traitement est largement vécue comme une discrimination flagrante, d’autant plus qu’elle touche une catégorie particulièrement vulnérable et déjà fragilisée économiquement.
Une inégalité contraire aux principes constitutionnels
Cette disparité interpelle directement au regard de la Constitution tunisienne. L’article 15 stipule que : « L’acquittement de l’impôt et la contribution aux charges publiques constituent un devoir pour chaque personne sur la base de la justice et de l’équité». Difficile de justifier l’équité lorsque deux retraités vivant sur le même territoire — l’un tunisien, l’autre étranger — ne sont pas soumis au même effort fiscal sur des revenus de même nature.
Un avantage fiscal déguisé de 55 %
Au regard de la définition des avantages fiscaux, la législation actuelle revient de fait à octroyer aux retraités étrangers et aux Tunisiens résidents à l’étranger un avantage équivalent à une exonération de 55 % de leur pension (80 % d’abattement contre seulement 25 % pour les retraités tunisiens résidents).
Cette situation nourrit un profond sentiment d’injustice chez les retraités tunisiens, déjà confrontés à une dégradation continue de leurs conditions de vie. Une logique qui rappelle d’autres incohérences du système fiscal tunisien : des politiques qui encouragent l’exportation de produits dont le citoyen ne peut pas bénéficier localement et des subventions accordées à des produits importés alors que leurs équivalents tunisiens restent inaccessibles pour les ménages.
Une réforme devenue indispensable
La question n’est pas de remettre en cause l’attractivité que la Tunisie souhaite offrir aux retraités étrangers, mais de poser une interrogation simple et légitime : Pourquoi le retraité tunisien devrait-il être fiscalement moins bien traité sur sa propre terre que le retraité étranger ?
Une réforme s’impose au nom de l’équité, de la cohérence fiscale et du respect des principes constitutionnels.
N.B. : L’opinion émise dans cette tribune n’engage que son auteur. Elle est l’expression d’un point de vue personnel.