Vous avez donné des concerts d’opéra avant même l’ouverture de la Cité de la culture de Tunis qui a fortement soutenu ce genre musical. Peut-on dire que vous êtes le premier ténor en Tunisie ?
Il s’est avéré que oui. Lorsque j’ai reçu un prix en France pour la première fois, en 2011, on m’a dit que j’étais le premier à aborder ce genre de manière professionnelle. A ce moment-là, j’ai compris que j’avais trouvé ma voie et que j’étais sur le bon chemin.
Avant cela, même depuis la période de la colonisation, il y avait certes des spectacles d’opéra en Tunisie, mais ils étaient toujours portés par des chanteurs étrangers.
Je suis formé en Tunisie, comme je suis diplômé de l’Institut de musique de Sousse puis de l’Institut supérieur de musique de Tunis. Cette passion pour l’opéra a commencé avec le projet du Chœur de l’opéra de Tunis, lancé par Mohamed Zinelabidine. On m’a dit que ma voix convenait à ce genre. J’ai donc passé une audition et j’ai été accepté. Peu à peu, je me suis rendu compte que c’est ma véritable vocation, même si le chœur de l’opéra n’a finalement pas abouti.
C’était donc un véritable défi pour moi de me lancer dans ce domaine nouveau, et j’avoue que les débuts n’ont pas été du tout faciles.
A part les compétences vocales que vous possédiez déjà, qu’est-ce qu’il fallait de plus pour réussir dans ce domaine ?
Entre la Tunisie et l’étranger, la différence est énorme. Un chanteur d’opéra en Occident n’a qu’à se rendre au conservatoire le plus proche de sa région, où il sera pris en charge par des enseignants expérimentés et même spécialisés dans ce genre. Il intègre ensuite des orchestres et se fait une place en fonction de son talent et de son travail.
Ce n’était pas du tout le cas pour moi. Je n’ai pas trouvé les professeurs que je recherchais. Après avoir enfin rencontré le bon, j’ai dû déménager et travailler le soir pour payer mes cours et subvenir à mes besoins. J’ai passé des concours à mes propres frais.
Lorsque je suis passé à la télévision pour la première fois, j’ai été fortement critiqué. Certains disaient que je ne chantais pas, mais que je criais. Ils ont eu du mal à accepter ma prestation qu’ils jugeaient à l’époque étrange, voire catastrophique. Cela ne m’a pourtant pas empêché de m’accrocher davantage à mes ambitions.
Dans la rue, quand j’ai commencé à me faire connaître, on me qualifiait souvent de “celui qui hurle”, avec tout un lot de connotations péjoratives. Même parmi les musiciens, je n’ai pas vraiment trouvé de soutien, mais plutôt des critiques liées au fait que je m’aventurais dans un domaine qui leur était étranger et encore inexploré.
Au fond de moi, j’étais convaincu que cela finirait par porter ses fruits, non seulement pour moi, mais aussi pour la scène culturelle tunisienne.
A l’époque, le public intéressé par la musique classique était très restreint. J’ai enduré des critiques frustrantes et affronté des mentalités figées, peu ouvertes à ce qui sortait de leurs habitudes musicales.
C’est très émouvant d’évoquer ces souvenirs, aujourd’hui que j’ai enfin trouvé une reconnaissance qui, je l’espère, sera durable.
Vous avez eu le rôle principal dans les premiers opéras tunisiens, Carmen et La Traviata. Comment est née l’idée de créer ce type de spectacles ?
Quand ils ont commencé à travailler sur Carmen, le spectacle était au départ davantage axé sur la danse que sur le chant. C’était surtout le ballet qui était concerné. Lorsque l’équipe m’a contacté, j’ai insisté pour qu’il s’agisse d’une véritable version d’opéra chanté. Je peux dire que j’étais seul contre tous, mais je me suis montré tellement obstiné qu’ils ont fini par céder.
Pendant les répétitions, j’étais exigeant et perfectionniste avec toute l’équipe car je tenais absolument à ce que le spectacle soit un grand succès. Nous l’avons finalement joué à El Jem, puis à Carthage, en dialecte tunisien. Ce sont des spectacles familiaux de très haut niveau.
Ce qui importe aujourd’hui, c’est de garantir la continuité de ces projets. Nous avons désormais un groupe solide et soudé. Notre objectif est d’en faire une véritable tradition.
Après La Traviata, nous enchaînerons avec Didon est née, toujours en collaboration avec la Cité de la culture, et je travaille actuellement sur un projet grandiose consacré à Hannibal. Il est temps, à mon sens, de créer des opéras qui valorisent notre propre patrimoine et notre culture. Nous ne pouvons pas nous contenter de reprendre uniquement des livrets étrangers.
Vous êtes sur de nombreux projets personnels en parallèle de votre collaboration avec le Théâtre de l’Opéra. Pouvez-vous nous en dire plus ?
J’ai effectué une tournée cet été avec orchestre et chœur. J’y ai interprété des airs d’opéra, des chansons napolitaines, mais aussi des titres arabes, dont les miens. Je suis avant tout un ténor arabe et ce programme me ressemble pleinement car je reprends les chansons dans des arrangements orchestraux modernes. L’ambiance était très chaleureuse, surtout lors des morceaux rythmés que j’ai composés moi-même.
Récemment, j’ai eu la chance de me produire en Chine. Je suis le premier Tunisien à avoir chanté sur la chaîne nationale CTV qui compte près de 100 millions de téléspectateurs. Je retournerai d’ailleurs bientôt à Pékin.
J’ai également des projets prévus à Dubaï car, comme je l’ai dit, je représente une voix arabe dans un genre encore peu exploré par les artistes de notre région.
En parallèle, j’ai un agent en France qui gère mes spectacles en Europe, ce qui me permettra de m’y produire accompagné de mon équipe tunisienne.
Après Le Bal masqué où j’ai joué le rôle principal en France, je ferai part de l’opéra Carmen produit en France et je serai de nouveau Don José. Je reste néanmoins toujours disponible pour collaborer avec la Cité de la culture sur leurs projets, en parallèle de mes activités personnelles.
Pour vos spectacles à l’étranger, gardez-vous le même programme que celui joué en Tunisie ou vous limitez-vous aux chansons d’opéra « pures » ?
C’est exactement le même programme, incluant également des chansons classiques arabes.
Je me considère comme un ambassadeur culturel, comme ce fut le cas en Chine. Je me présente toujours en tant qu’artiste tunisien et je fais connaître mon pays à travers la musique. Je pense cependant qu’il est plus intéressant de se montrer multiculturel que de se limiter à une musique tunisienne purement traditionnelle.
Avec ma voix de ténor, j’ai chanté en français, en italien, en arabe, et je chanterai bientôt en chinois. C’est une manière de démontrer notre ouverture culturelle et de valoriser l’image du Tunisien en général : un artiste organisé, travailleur assidu et polyglotte. C’est ainsi, je crois, que nous pourrons attirer l’attention et encourager des collaborations à différents niveaux, bien au-delà du domaine musical.

