Lutter contre l’économie de rente et mettre fin au détournement des ressources publiques requièrent une vision d’ensemble et un travail de longue haleine. C’est une tâche qui ne sera pas de tout repos. Elle doit faire face à un front de résistance de la part de tous ceux qui voudraient protéger leurs acquis.
La Presse — La relation entre la rente et la croissance économique en Tunisie est un sujet d’importance. Malgré son potentiel et ses réformes successives, l’économie nationale reste marquée par une forte présence de structures rentières et de monopoles influents, ce qui freine la compétitivité, l’innovation et l’intégration des entreprises dans un marché souvent capté par des groupes bénéficiant de réglementations favorables.
Une économie de rente repose principalement sur l’exploitation de ressources naturelles, de privilèges réglementaires ou d’une position dominante sur un marché, plutôt que sur la production de la valeur ajoutée à travers l’innovation et la compétitivité.
Depuis plusieurs décennies, la prédominance de l’économie de rente a pesé lourdement sur le développement du pays. « Cette prédominance se traduit par la captation de richesses par des groupes bénéficiant de privilèges liés à des monopoles, des licences d’importation, des subventions ciblées, des crédits à taux préférentiels ou encore des barrières administratives complexes », précise l’Institut tunisien des études stratégiques (Ites), dans une étude publiée récemment, portant sur la lutte contre l’économie de rente.
Ces mécanismes bloquent la concurrence, limitent l’investissement productif, freinent l’innovation, créent des distorsions de marché et nourrissent les inégalités sociales.
Dynamique entrepreneuriale réduite
Selon les indicateurs cités par l’Ites, plus de 50 % de l’économie opère dans des secteurs où des restrictions fortes limitent l’entrée concurrentielle : monopoles, cadres règlementaires lourds et complexes, autorisations préalables multiples. « Cette imbrication d’interventions publiques a conduit à un modèle économique verrouillé, peu compétitif, où l’État maintient une forte emprise via des entreprises publiques et des interventions directes », note l’Ites.
Selon la même source, le fonctionnement de l’économie tunisienne dominée par des rentes limite l’incitation à l’innovation et à l’investissement productif. « Les entreprises protégées par des monopoles ou des pratiques anti-concurrentielles privilégient la rente à l’amélioration des produits, des procédés ou des services », révèle l’Ites.
Et d’ajouter que « le maintien de rentes réduit fortement la dynamique entrepreneuriale, freinant la création d’entreprises nouvelles et compétitives ». L’accès aux financements est discriminant. Les entreprises liées à des réseaux sont privilégiés pour bénéficier de crédits à taux avantageux, alors que les PME font face à des obstacles majeurs.
Les investissements sont, en effet, mobilisés dans des activités peu productives ou « intensives en main-d’œuvre non qualifiée, ce qui limite les gains de productivité à long terme ». L’’étude s’est focalisée aussi sur le cadre règlementaire complexe, avec des procédures longues et incertaines, qui déresponsabilise les acteurs économiques et freine la prise d’initiative.
Accompagner l’investissement inclusif
L’étude propose des actions clés visant à simplifier et unifier le cadre règlementaire pour les investissements afin de réduire les barrières administratives, en particulier dans les régions et secteurs innovants. Il s’agit, aussi, de recentrer les aides et subventions sur les secteurs à fort potentiel technologique et innovant, ainsi que sur les PME locales, encourager la mobilisation des acteurs territoriaux (collectivités locales, chambres de commerce) pour accompagner l’investissement inclusif, mettre en place un guichet unique pour l’ensemble des démarches, accélérant la création d’entreprises et la délivrance des licences.
L’Ites recommande, également, une série d’actions, dans l’objectif de renforcer la concurrence, améliorer la gouvernance économique, protéger la classe moyenne, stimuler l’innovation, et favoriser une croissance durable et inclusive. Parmi ces mesures, la promotion d’une concurrence réelle et assainie, à travers le renforcement de l’indépendance du Conseil de la concurrence, la révision des régulations sectorielles pour éliminer les protections excessives des groupes d’intérêt, l’interdiction formellement de toute exemption légale aux lois anticartels…
La refonte du système fiscal…
L’Institut appelle, aussi, à la simplification des procédures d’attribution de concessions, licences…, à la lutte contre les barrières informelles par des mécanismes d’audit indépendants, à la facilitation de l’accès aux financements pour les PME et les start-up, et à la mise en place de critères transparents pour l’éligibilité aux appels d’offres publics.
Pour le volet fiscalité, « il appelle à la refonte du système fiscal pour restaurer l’équité, en supprimant progressivement les niches fiscales injustifiées, à numériser et centraliser les données fiscales pour réduire l’évasion, et à mettre en place des dispositifs transparents de contrôle ».
Afin d’améliorer la gouvernance économique et la transparence, l’Institut propose la mise en place d’un portail d’open data regroupant toutes les informations publiques, la publication régulière des bénéficiaires des concessions, des marchés publics…, et la création des instances multi-parties pour le suivi des réformes.
L’effort doit être orienté aussi vers la réforme du système bancaire (renforcer la transparence sur les critères d’octroi de crédits, instaurer des dispositifs spécifiques d’accès au financement pour les PME innovantes…), à la réforme administrative et foncière…
L’Ites a dû rappeler que la lutte contre l’économie de rente « est un chantier majeur et complexe, nécessitant une coordination entre les différentes composantes de l’Etat, le secteur privé, la société civile, et les partenaires internationaux ».