Salma Messaoudi s’est imposée dans un domaine encore très masculin : la direction d’orchestre. Elle est également la fondatrice du conservatoire El Manar qui a vu naître et évoluer un ensemble musical aujourd’hui reconnu. À l’occasion du spectacle « Florilèges lyriques » qui sera présenté au Théâtre municipal de Tunis le 19 novembre, elle revient sur son parcours et les projets qui animent son orchestre.
Comment avez-vous fait vos premiers pas dans la musique et plus particulièrement dans le monde orchestral ?
Je suis juriste de formation et violoniste depuis l’âge de 7 ans. J’ai intégré un orchestre pour la première fois à 11 ans, sous la direction de Hafech Makni. À 16 ans, je jouais déjà au sein de l’Orchestre symphonique tunisien avec feu Ahmed Achour, avant de rejoindre l’orchestre de chambre de Rchid Koubaa qui fut également mon professeur de violon.
En 2004, j’ai ouvert mon propre conservatoire et nous y avons créé un orchestre en parallèle des cours d’instruments et de solfège. Je pense que ce travail collectif est essentiel, même pour la formation d’un musicien. Depuis sa création, l’orchestre a été dirigé par plusieurs chefs comme Farouk S’habou, Fady Ben Othmen ou encore Racem Dammak.
Pendant plusieurs années, je l’ai dirigé avec les connaissances acquises auprès de grands maîtres. Puis, en 2019, j’ai décidé de suivre une véritable formation en direction d’orchestre à Lyon afin d’assurer pleinement cette fonction. Aujourd’hui, l’orchestre fait partie intégrante de l’école, mais il sera prochainement rattaché à une association en cours de création.
Ce que le public voit, c’est le chef d’orchestre remuer sa baguette sur scène. Mais concrètement, quelles sont ses tâches ?
C’est un travail très sophistiqué. Sans chef d’orchestre, il n’y a ni synergie entre les musiciens, ni harmonie, ni cohérence mélodique. Le chef coordonne les attaques, les arrêts, les nuances, l’intensité… Les instrumentistes ne jouent pas tous en même temps. Chacun a sa propre ligne musicale. Les violons n’interviennent pas toujours ensemble, les cuivres non plus et il en va de même pour les contrebasses…
Tout cela se construit pendant les répétitions, après un long travail préalable sur la partition. C’est aussi un apprentissage continu. Nous nous formons sans cesse pour nous perfectionner, car la direction d’orchestre est un domaine immense.
Lorsque vous avez commencé, et même encore aujourd’hui, il y a très peu de femmes cheffes d’orchestre au niveau mondial. Comment vivez-vous le fait d’exercer un métier souvent considéré comme masculin ?
C’était un véritable défi, mais il m’a offert de belles opportunités et de nombreux moments de partage. Cela m’a aussi énormément aidée sur le plan social et organisationnel. Aujourd’hui, je suis ravie de voir de jeunes cheffes émerger, notamment grâce à l’association « Les Solistes ». Elles sont impressionnantes.
Il n’y a aucune raison pour que cette profession reste masculine, d’autant que les femmes tunisiennes ont toujours été pionnières dans de nombreux domaines.
Êtes-vous spécialisée dans la musique classique ?
Je dirige également l’orchestre oriental, mais la musique symphonique et le chant lyrique restent mes domaines de prédilection. Avec Hassen Doss, nous avons réalisé une superbe tournée, notamment au Festival d’El Jem qui était un moment magique, à Monastir et sur de nombreuses autres scènes. Nous avions donné des concerts auparavant, mais souvent dans des salles plus petites.
Quel est le programme du spectacle « Florilèges lyriques » ?
Les sopranos Amina Baklouti et Lilia Ben Chikha, ainsi que le baryton Haithem Hdhiri interpréteront des airs célèbres en solo, en duo ou en trio. Ce sont des artistes polyvalents qui excellent dans plusieurs styles. Il y aura également de la musique tunisienne arrangée pour orchestre classique, avec notre propre touche.
Combien de musiciens seront sur scène ?
Nous serons environ soixante musiciens et choristes confondus. Amina Baklouti, cheffe de chœur et enseignante de chant lyrique au conservatoire El Manar, dirigera les chœurs.
Comment gérez-vous un effectif aussi important ?
Notre orchestre regroupe des musiciens de tous âges, de 15 à plus de 40 ans. Ils viennent d’horizons variés : élèves, étudiants, professionnels…
Nous les avons formés pendant des années, et certains sont aujourd’hui sollicités par de grands orchestres. Nous sommes fiers de les voir se produire sur des scènes prestigieuses en Tunisie et à l’étranger. Ils restent attachés à notre orchestre et reviennent toujours pour nos concerts et c’est ce sentiment d’appartenance qui fait réellement notre force.
Nous avons un rendez-vous incontournable chaque samedi soir. Les musiciens sont conscients de l’importance du travail collectif, même lorsqu’aucun concert n’est encore prévu. Il existe une véritable transmission entre les générations comme les anciens qui guident les nouveaux.
Il y a donc de la rigueur et de la discipline, mais aussi une ambiance familiale. À force de passer du temps ensemble, des liens affectifs se créent, bien plus forts qu’une simple relation pédagogique. C’est un véritable travail d’équipe. Nous restons même en contact avec ceux qui sont partis à l’étranger.
Pensez-vous que la musique classique et le chant lyrique attirent de plus en plus de public?
Oui, absolument. Cela a commencé avec des concerts purement instrumentaux. Aujourd’hui, nous avons plusieurs orchestres symphoniques et de magnifiques voix lyriques. Le public s’est fidélisé. Il a découvert cet univers et s’y est passionné. Je suis heureuse de voir cette effervescence culturelle grandissante.
Ce spectacle marque-t-il le début d’une série de représentations ?
Oui, d’autres dates sont prévues, ainsi que l’exploration de nouveaux styles et de nouvelles approches artistiques. Nous souhaitons varier les expériences. Nous sommes aujourd’hui ouverts à de nouvelles idées, de nouveaux concepts et d’autres collaborations.