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Dyala Nusseibeh à La Presse : « Nous sommes un pont entre institutions, artistes et collectionneurs »

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  • 20 novembre 20:00
  • 6 min de lecture
Dyala Nusseibeh à La Presse :  « Nous sommes un pont entre institutions, artistes et collectionneurs »

Abu Dhabi Art Fair ouvre ses portes cette semaine, une des plus importantes rencontres artistiques de la région Mena. A cette occasion, nous avons interviewé pour vous Dyala Nousseibeh, directrice de la foire depuis plusieurs années. Le parcours de Dyala Nousseibeh dans le monde artistique est impressionnant, on lui doit la création de la foire d’art d’Istanbul après un passage remarqué dans la prestigieuse galerie Saatchi, ainsi que la mise en place d’une plateforme internationale de collectionneurs. Elle a bien voulu répondre à nos questions.

La Presse — Abu Dhabi Art Fair n’est ni la plus ancienne ni la plus grande foire de la région. Comment expliquez-vous son rayonnement et son positionnement majeur sur la scène artistique régionale ?

Abu Dhabi Art Fair est en réalité l’une des plus anciennes foires de la région. Sa première édition, alors sous le nom d’Art Paris Abu Dhabi, a ouvert en 2007, avant de devenir Abu Dhabi Art en 2009. C’est également, je crois, la plus grande, avec 142 exposants cette année. Cela dit, notre objectif n’a jamais été de grandir pour grandir, mais de créer un dialogue culturel véritablement enrichissant.

La foire bénéficie d’une vision culturelle plus large portée par l’Emirat — une vision solidement ancrée dans la construction d’institutions majeures, du Louvre Abu Dhabi au futur Guggenheim Abu Dhabi. Ce contexte lui confère une position unique. Nous ne sommes pas simplement un marché ; nous sommes un pont entre institutions, artistes et collectionneurs, et cet alignement stratégique nous donne un rayonnement qui dépasse largement notre seule envergure.

Quelle est la spécificité de cette foire et en quoi se différencierait-elle de Dubaï ou Sharjah ?

Chacune des scènes artistiques des Emirats remplit un rôle distinct, et cette diversité fait notre force en tant que pays. Dubaï prospère comme un hub commercial, Sharjah s’appuie sur une solide structure institutionnelle et biennale, tandis qu’Abu Dhabi Art se situe à un carrefour : nous évoluons à l’intersection de la culture, du patrimoine et du marché de l’art. Notre foire est à la fois tournée vers le monde et profondément ancrée dans la région. Nous invitons des commissaires à développer des projets qui reflètent le rôle des Emirats comme point de rencontre des cultures, et nous engageons avec les collectionneurs et les institutions d’une manière intime et intellectuellement stimulante, plutôt que strictement transactionnelle.

Les thèmes choisis chaque année font-ils partie d’une vision globale, d’une démarche bien définie ou relèvent ils d’une actualité qui les auraient inspirés ?

Il existe indéniablement une vision curatoriale à long terme qui guide Abu Dhabi Art. Nous cherchons à faire en sorte que les histoires et les récits artistiques de notre région contribuent à façonner les discours internationaux.

Cela dit, nous restons attentifs au monde qui nous entoure — l’art ne peut pas exister en vase clos. Ainsi, si le récit curatoriel de chaque édition s’inscrit dans notre mission globale de mettre en lumière les échanges interculturels et le dynamisme de la région, il reflète également les conversations urgentes et les enjeux de notre époque.

Quel est l’impact de ces assises de l’art sur les artistes de la région ? La visibilité qu’elle leur offre trouve-t-elle écho dans leurs pays ? Ou ne leur offre-t-elle qu’une gloire fugace ?

Cette visibilité est transformatrice et durable. Lorsque des artistes de la région exposent à Abu Dhabi Art, ils sont présentés non seulement à des collectionneurs, mais aussi à des conservateurs de musées, des directeurs de fondations et des penseurs du monde culturel. Beaucoup ont ensuite été invités à des résidences internationales, des biennales ou des expositions institutionnelles grâce à cette mise en lumière. En ce sens, la foire agit comme un tremplin. Notre ambition est de construire une reconnaissance réelle et pérenne pour les artistes de la région, afin que leurs voix soient perçues comme essentielles dans le récit artistique mondial — et non comme des phénomènes passagers

Chaque année davantage de galeries participent. Y aurait-il un chiffre clé pour que l’équilibre soit atteint, que la machine reste contrôlée, sans souffrir d’un développement qui pourrait nuire à la vocation d’échanges et de rencontres ?

Absolument. La qualité primera toujours sur la quantité. Notre objectif est de préserver une foire à taille humaine, fluide et lisible — un espace où les collectionneurs peuvent réellement dialoguer avec les galeries, et où les galeries peuvent représenter leurs artistes de manière approfondie. Il existe un seuil au-delà duquel l’intimité se perd, et nous sommes très attentifs à maintenir cet équilibre délicat. Pour nous, la croissance ne signifie pas s’étendre, mais approfondir et inclure de manière réfléchie.

Abu Dhabi Art Fair ne se cantonne-t-il pas aux Emirats ? Aurait-il une présence ‘‘hors les murs’’?

Abu Dhabi Art est devenu un véritable écosystème qui dépasse largement le cadre de la foire elle-même. Nos expositions Beyond Emerging Artists et Gateway, par exemple, continuent de voyager et de s’inscrire dans de nouveaux contextes. Nous collaborons avec des institutions à l’étranger et nouons de plus en plus de partenariats transfrontaliers. Ainsi, même si notre ancrage physique demeure ici aux Émirats, la portée de nos artistes, elle, est devenue mondiale. Cette année, grâce au soutien de HSBC, nous avons présenté Beyond Emerging Artists dans des lieux prestigieux à Hong Kong et à Londres.

Cette foire est « bouclée ». Pensez-vous déjà à la prochaine ? 

Eh bien, j’écris cette réponse une semaine avant l’ouverture de la foire ! Mais oui, la préparation de chaque édition commence au moins un an à l’avance, et chaque année nourrit la suivante : les relations, les découvertes, les échanges deviennent le socle de ce qui vient après. Nous sommes déjà en discussion avec des commissaires, des artistes et des galeries pour voir comment repousser les limites et offrir une édition encore plus ambitieuse. La foire évolue en restant en dialogue avec la région et le monde. 

Entretien conduit par Alya Hamza

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La Presse