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Finance alternative : Reconstruire la confiance

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  • 20 novembre 18:30
  • 6 min de lecture
Finance alternative : Reconstruire la confiance

Alors que la Tunisie cherche à renouer avec la croissance, un gisement de solutions demeure sous-exploité : la finance alternative. Co-investissement, transparence, diaspora, crowdfunding… les outils existent, mais restent en sommeil, faute de confiance et de décisions concrètes. Pour Jalel Ben Romdhane, expert en ingénierie financière, la relance passera par des actions mesurables, capables de prouver, enfin, que l’écosystème tunisien peut transformer son potentiel en résultats réels.

La Presse — La finance alternative apparaît aujourd’hui comme l’un des leviers les plus prometteurs pour relancer l’investissement, stimuler l’innovation et mobiliser l’épargne nationale et celle de la diaspora. Le potentiel reste largement sous-exploité. Dans ce contexte, Jalel Ben Romdhane, expert en ingénierie financière et figure centrale de la finance alternative en Tunisie, appelle à un changement de méthode.

Pour lui, la question n’est plus de savoir si le pays dispose des ressources, mais comment rétablir la confiance et organiser l’action collective afin de transformer ces ressources en véritables moteurs de croissance.

A travers son analyse, il dessine les contours d’une stratégie fondée sur la crédibilité, la transparence et l’engagement de la diaspora, trois conditions indispensables pour sortir du « coma artificiel » dans lequel s’enlise la finance alternative tunisienne.

Dans ce cadre, Jalel Ben Romdhane, expert en finance alternative et fondateur du 1KUB, premier incubateur inclusif dédié à l’entrepreneuriat féminin en Tunisie, pose cette question centrale : « Est-il invraisemblable que 5.000 Tunisiens prêtent chacun 200 dinars à une entreprise qui développe un produit 100 % tunisien, de l’ingénierie à la production ? » 

Un modèle qui a fait ses preuves

Si cette vision paraît difficile aujourd’hui, c’est moins en raison d’un manque de fonds que d’un déficit de confiance. Pour restaurer cette confiance, trois leviers lui paraissent essentiels. D’abord, l’action collective par le co-investissement, à travers la création d’un fonds Business Angels–Diaspora où l’État n’intervient qu’avec des capitaux privés. Ce mécanisme favoriserait la collaboration, professionnaliserait la sélection des projets et répartirait le risque. Il rappelle d’ailleurs que ce modèle fonctionne déjà au Maroc.

Ensuite, la transparence, via un observatoire indépendant chargé de publier régulièrement des données auditées sur des indicateurs objectifs : montants levés, taux de survie des startups à trois ans, emplois créés, impact territorial.

Enfin, le redémarrage du crowdfunding, un outil simple et rassurant pour les citoyens-investisseurs. Selon lui, la Banque centrale pourrait activer rapidement sa sandbox réglementaire pour délivrer, dans un délai d’un an, deux ou trois premiers agréments de plateformes. 

A cela s’ajoute la nécessité de former une centaine de Business Angels en deux ans et d’encourager cette dynamique par des incitations fiscales sur les plus-values après une période de détention raisonnable. Pour l’expert, le rôle de l’État n’est pas celui d’un bailleur exclusif, mais d’un garant du cadre, d’un facilitateur d’écosystèmes. La confiance se reconstruit par des preuves tangibles. La diaspora tunisienne constitue, selon lui, un atout stratégique majeur. Au-delà des transferts de devises, elle représente un pont normatif, porteuse des standards internationaux en matière de gouvernance et d’investissement. Pourtant, son rôle se limite encore trop souvent à des transferts familiaux ou à des dons ponctuels.

Trois pistes 

Pour l’intégrer pleinement à une stratégie d’impact, il propose trois pistes.

La première consiste à créer des fonds structurés dédiés à la diaspora, ciblant des secteurs porteurs comme la technologie ou l’énergie verte, avec des tickets d’entrée accessibles et un accompagnement juridique transparent. La deuxième vise à renforcer son rôle d’ancrage normatif, en imposant des règles de gouvernance strictes : pactes d’associés, stratégies de sortie, reporting régulier. En clarifiant les règles du jeu, la diaspora sécurise l’investissement et renforce la crédibilité de l’écosystème.

La troisième repose sur des incitations fiscales et réglementaires, telles que l’exonération des plus-values après cinq ans de détention ou un accès prioritaire à des projets labellisés « impact socio-économique ».

Pour Jalel Ben Romdhane, la diaspora doit devenir un acteur central de la gouvernance, de l’innovation et de la reconstruction économique. Selon lui, la finance alternative tunisienne souffre d’années de discours non suivis d’effets. Le cadre légal existe, mais reste largement inappliqué. Pour sortir de ce « coma artificiel », dit-il, plusieurs actions immédiates s’imposent.

Le volet principal est de relancer le prêt participatif : à ce jour, aucune plateforme n’est agréée. L’activation de la sandbox réglementaire permettrait à trois plateformes de démarrer d’ici douze mois. Le prêt participatif est plus simple que l’investissement en capital et reconstruit la confiance par la preuve la plus forte : le remboursement.

Le deuxième pilier est de réduire la friction juridique, en digitalisant et en simplifiant les procédures pour les plateformes, les Business Angels, les investisseurs et les entrepreneurs. La troisième consiste à mesurer pour crédibiliser, via un observatoire indépendant publiant des données auditées dès la première année.

A cela s’ajoute la nécessité de former des investisseurs accrédités, afin de diffuser une véritable culture de l’investissement et du risque. L’objectif : ne plus se contenter de célébrer quelques levées de fonds ponctuelles, mais suivre des indicateurs tangibles comme le taux de survie à trois ans, les emplois créés ou l’impact territorial. Pour lui, la finance alternative n’est pas un outil accessoire, mais la méthode permettant de transformer les atouts du pays en résultats concrets. Et il conclut: « Le vrai risque n’est pas d’échouer en essayant, mais de continuer à ne pas essayer ».

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Auteur

Sabrine AHMED