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Journée Mondiale des Droits de l’Enfant : Un parcours jalonné d’avancées législatives et institutionnelles en Tunisie

  • 20 novembre 19:00
  • 8 min de lecture
Journée Mondiale des Droits de l’Enfant : Un parcours jalonné d’avancées législatives et institutionnelles en Tunisie

La primauté des droits de l’enfant est souvent reconnue, admise et entendue en Tunisie, parce que ce dernier a droit à l’éducation, à l’alimentation, au logement, à la protection sociale et bien d’autres considérations telles que la non-discrimination, son intérêt supérieur, le droit à la vie, à la survie et au développement, et le droit de participation. Les délégués à la protection de l’enfance sont les garants de ces droits et continuent de batailler pour les faire entendre et les rappeler. Car l’enfant est l’avenir du pays et le fondateur de la nation tunisienne de demain.

La Presse — À l’occasion de la Journée mondiale des droits de l’enfant, célébrée chaque 20 novembre, la Tunisie, pays pionnier en Afrique et dans le monde arabe, se remémore les progrès significatifs en matière de protection et de promotion des droits de ses jeunes citoyens.

Depuis l’indépendance en 1956, le pays a bâti un cadre juridique et institutionnel solide, témoignant de son engagement envers l’intérêt supérieur de l’enfant, principe désormais ancré dans sa législation fondamentale. Depuis 1990, la Journée mondiale de l’enfance marque également l’anniversaire de l’adoption la Déclaration et de la Convention relative aux droits de l’enfant.

Un cadre juridique structurant

L’évolution des droits de l’enfant en Tunisie est marquée par plusieurs étapes clés, témoignant de la volonté d’aligner le droit national sur les standards internationaux. L’ère post-indépendance a posé les premières pierres d’un État social protecteur avec, dès 1956, la promulgation du Code du statut personnel (CSP).

Bien qu’il se concentre sur la famille, il a introduit des concepts fondamentaux comme l’interdiction de la polygamie et la promotion des droits de la femme, qui ont eu un impact indirect mais crucial sur l’environnement de l’enfant.  La priorité a été donnée à l’éducation. L’État a rapidement investi massivement dans l’éducation et la santé, concrétisant le droit à l’éducation et aux soins pour tous les enfants.

L’étape la plus décisive est survenue suite à l’adoption de la Convention internationale des droits de l’enfant (Cide) par l’ONU. En 1991, avec la ratification de la Cide, la Tunisie a ainsi intégré les principes fondamentaux de la Convention (non-discrimination, intérêt supérieur de l’enfant, droit à la vie, à la survie et au développement, et droit de participation) dans son ordre juridique interne.

La Tunisie a levé toutes ses réserves en juin 2008.  En 1995, on a assisté à la promulgation du Code de la protection de l’enfant (CPE), à travers la loi n° 95-92 du 9 novembre 1995. Ce Code est la référence majeure et a été salué par l’Unicef comme une avancée significative. Il a notamment consacré le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant comme considération primordiale dans toutes les décisions qui le concernent.

Il a institué la figure du délégué à la protection de l’enfance (DPE), un acteur central dans le système d’alerte et d’intervention. Il a établi un système de justice pour mineurs adapté, différenciant l’enfant délinquant, âgé de plus de 13 ans, des juridictions pénales de droit commun. L’ancrage constitutionnel et les réformes post-2011 ont solidifié et garanti les droits de l’enfant.

L’après-Révolution a renforcé la protection de l’enfance au plus haut niveau juridique en 2014 et 2022. Les constitutions ont conféré un statut constitutionnel aux droits de l’enfant. L’article 47 de la Constitution de 2014 stipulait que «L’État s’engage à garantir les droits de l’enfant…» et que l’intérêt supérieur de l’enfant doit primer sur toute décision.

Des lois ont été révisées pour renforcer la lutte contre la violence faite aux enfants, y compris les châtiments corporels ; améliorer la prise en charge des enfants handicapés (droit à la protection et aux soins); élever l’âge minimum d’admission à l’emploi (alignement progressif sur les standards internationaux). 

Avancées institutionnelles et structurelles

Au-delà des textes, la Tunisie a mis en place des mécanismes pour assurer l’application des droits. Le ministère de tutelle est un département spécifique, aujourd’hui souvent le ministère des Affaires de la Femme, de la Famille, de l’Enfance et des Seniors est chargé de la politique nationale de l’enfance. Les délégués à la protection de l’enfance sont des fonctionnaires présents sur tout le territoire, constituant la cheville ouvrière du système.

Ils reçoivent les signalements, mènent des enquêtes et prennent les mesures de protection nécessaires, sous le contrôle du juge. Le numéro vert 1809 est gratuit et confidentiel mis en place pour le signalement des cas d’abus et pour fournir un soutien psychologique démontrant la volonté des institutionnels de surmonter de nouveaux obstacles.

Malgré ces réalisations louables, des défis majeurs persistent, notamment en matière de mise en œuvre et d’équité l’écart entre les textes et la réalité subsiste. La persistance de l’abandon scolaire, du travail des enfants dans certaines régions, et la montée de la violence (y compris la cyberviolence) montrent qu’un fossé subsiste entre la loi et sa pleine application sur le terrain.

A ce sujet, une instance indépendante attend de voir le jour. La société civile tunisienne continue de plaider pour la création d’une instance indépendante et autonome de suivi des droits de l’enfant, dotée de pouvoirs étendus, afin de garantir une meilleure redevabilité de l’État. La lutte contre les inégalités continue. Des efforts restent nécessaires pour réduire les disparités régionales et socioéconomiques qui affectent l’accès égal des enfants aux services de qualité (santé, éducation préscolaire, loisirs). 

Le rôle du délégué à la protection de l’enfance en Tunisie est crucial et central dans le dispositif national de protection des mineurs, tel que défini par le Code de la protection de l’enfant (CPE). Le DPE est l’acteur de première ligne chargé de prévenir et d’intervenir en cas de danger menaçant la santé, l’intégrité physique ou morale, ou le développement de l’enfant.

Missions du délégué à la protection de l’enfance

Le DPE intervient principalement dans le cadre de la protection sociale des enfants en danger, en veillant à leur intérêt supérieur, notamment lors de la réception et l’évaluation des signalements. Le devoir de signalement est inscrit dans la loi. Toute personne, y compris celles soumises au secret professionnel, a le devoir de signaler au DPE toute situation constituant une menace pour l’enfant (article 28 et suivants du CPE). Tout comme l’appréciation du danger.

Le DPE est chargé d’apprécier l’existence effective d’une situation difficile menaçant l’enfant (au sens de l’article 20 du CPE, qui définit l’enfant en danger). Il procède aux investigations et enquêtes sociales nécessaires pour évaluer la réalité de la situation. À cet effet, il est habilité à convoquer l’enfant et ses parents, à se rendre sur place, avec ou sans autorisation judiciaire, pour les domiciles privés.

Le DPE privilégie les mesures conventionnelles ou concertées prises en accord avec les parents et l’enfant, visant en priorité le maintien de l’enfant dans son milieu familial et l’aide à la famille pour faire disparaître la situation de danger. Comme exemple de mesures conventionnelles, la proposition d’accompagnement social ou éducatif, placement temporaire dans une famille substitut ou une institution appropriée.

En cas de danger grave et imminent, le DPE peut prendre des mesures d’urgence pour soustraire l’enfant du danger avant de saisir le juge. S’il constate des agissements graves ou si l’accord n’est pas possible, il établit un rapport qu’il soumet au juge de la famille (juge des enfants) pour demander une protection judiciaire.

Le DPE est un coordinateur essentiel qui travaille en étroite collaboration avec divers acteurs. Il assure la coordination entre les services sociaux, de santé, d’éducation, de sécurité (police/garde nationale) et la justice (juge de la famille, juge des enfants). Il centralise l’information et le suivi des cas. Le DPE porte secours aux enfants délinquants. Il intervient également pour les enfants en contact avec la loi, notamment en matière de médiation entre l’enfant, son représentant légal et les parties concernées, lorsque la loi le permet, sauf pour les crimes.

Le DPE est donc un mécanisme clé de la protection de l’enfance en Tunisie, garantissant une réponse à la fois sociale, préventive et judiciaire aux menaces qui pèsent sur les mineurs. La Tunisie a démontré une réelle volonté politique de placer l’enfant au cœur de son projet de société. En cette Journée mondiale, il est essentiel de reconnaître ces avancées tout en redoublant d’efforts pour que chaque enfant tunisien puisse jouir pleinement de ses droits.

Auteur

Mohamed Salem Kechiche