Réinventer la gestion locale : La Tunisie prépare un nouveau système municipal
Kaïs Saïed souligne la nécessité d’un nouveau cadre légal pour les municipalités, afin de disposer d’élus responsables et d’assurer une gouvernance efficace et des services conçus pour les citoyens, loin des luttes partisanes.
La Presse — Le 14 novembre, au Palais de Carthage, le Président Kaïs Saïed a reçu Farouk Bouasker, président de l’Isie, pour examiner le rapport d’activité et financier de l’instance pour 2024. Le Chef de l’Etat a rappelé que le processus engagé depuis le 25 juillet 2021 avait permis de sauver l’Etat et de répondre à la volonté du peuple. La rencontre a surtout souligné la nécessité de préparer les prochaines élections municipales, qui ne pourront se tenir qu’après l’adoption d’une nouvelle loi refondant le cadre juridique des conseils municipaux.
L’annonce, une nouvelle fois réitérée par le Président de la République Kaïs Saïed, de la nécessité d’élaborer un nouveau code des collectivités locales, avant d’organiser les prochaines élections municipales, s’inscrit dans une dynamique politique assumée qui consiste à refonder la gouvernance locale à la lumière des dysfonctionnements constatés entre 2018 et 2021.
Une refonte indispensable du cadre légal
Déjà, en avril 2025, le Chef de l’Etat avait qualifié l’actuel Code des collectivités locales issu des réformes de 2015 et 2017 de véritable «source de corruption». Les Tunisiens n’ont d’ailleurs pas oublié la déception suscitée par les dernières élections municipales, marquées par des présidents de communes davantage alignés sur les intérêts des partis que sur ceux des citoyens. Les textes de ce code avaient également fragilisé l’Etat en conférant aux municipalités une autonomie mal encadrée, propice aux abus et aux blocages institutionnels.
Il faut dire que le cadre légal avant la dissolution des conseils municipaux ne garantissait ni l’efficacité administrative, ni la cohésion territoriale, ni la responsabilité des élus. D’où la nécessité d’un nouveau texte, pensé non comme un simple ajustement technique, mais comme un acte de reconstruction institutionnelle.
L’argumentaire présidentiel s’appuie sur un bilan largement critiqué de l’ancienne expérience municipale. Entre 2018 et 2021, plusieurs conseils municipaux se sont retrouvés paralysés par des conflits internes, des démissions en série ou des affrontements entre blocs politisés. Dans de nombreuses communes, les présidents de conseils étaient accusés d’agir au service des partis politiques qui les avaient portés au pouvoir, au lieu de répondre aux besoins réels des citoyens.
Cette politisation excessive a eu plusieurs conséquences, dont une gouvernance locale fragmentée, parfois incapable de prendre des décisions de gestion élémentaires, une priorité donnée aux agendas partisans, au détriment des dossiers structurants et une perte de confiance des citoyens, lassés par des querelles politiciennes incessantes.
La gouvernance locale a ainsi été perçue, dans plusieurs régions, comme un prolongement des luttes politiques nationales, et non comme un espace de proximité et de résolution des problèmes quotidiens. Aux dérives politiques s’ajoutent des problèmes structurels. On peut citer à ce propos une gestion défaillante de la propreté publique, accumulation des déchets, absence de planification moderne, lenteur des procédures administratives, et surtout multiplication des scandales de corruption.
En outre, plusieurs enquêtes et rapports de contrôle ont pointé des irrégularités dans la gestion financière et administrative des communes, parfois impliquant des secrétaires généraux ou des responsables municipaux. Pour le Président Saïed, ces dérives confirment que le système instauré après 2014, loin d’installer une démocratie locale performante, avait ouvert la voie à «ceux qui ont considéré l’Etat comme un simple butin à se partager».
Vers une gouvernance locale repensée
Depuis la dissolution des conseils municipaux par décision présidentielle, la Tunisie vit une situation de gestion provisoire reposant sur des délégations spéciales. Or, cette formule transitoire ne peut s’éterniser. Les défis auxquels fait face le pays actuellement en matière de propreté, gestion urbaine, infrastructures, services de base, exigent des institutions élues et responsables. Cela explique l’insistance du Chef de l’Etat, lors de sa rencontre du 14 novembre avec le président de l’Isie, sur la nécessité de préparer les futures élections municipales et d’adopter une nouvelle loi.
Pour le Président, il ne s’agit pas d’organiser rapidement un scrutin, mais d’en organiser un susceptible de ne pas reproduire les mêmes erreurs du passé.
Le futur système électoral devra en toute logique renforcer le lien direct entre l’électeur et son représentant, réduire l’influence des appareils partisans au niveau local et garantir une reddition des comptes permanente.
Autrement dit, l’objectif est d’installer une municipalité au service des habitants, non une plateforme d’alliances partisanes.
Ce projet de refonte s’inscrit dans une vision plus large, celle d’une démocratie participative où le processus électoral ne se limite pas au vote du jour J, mais redéfinit en profondeur la relation entre citoyens, élus et institutions.
En combinant réforme juridique, refonte du système électoral et lutte contre les dérives passées, le Président Saïed entend instaurer un modèle fondé sur l’efficacité, la responsabilité et la cohésion nationale.
La Tunisie se prépare ainsi à tourner une page, en espérant que la prochaine expérience municipale sera synonyme de gouvernance locale renforcée et de services publics, enfin, à la hauteur des attentes des citoyens.