« Les jardins de mon père » de Hela Lamine à Archivart : Sa manière d’habiter le monde
Ses recherches plastiques s’inscrivent dans un processus presque organique, une forme de boulimie graphique qui, avec le temps, se matérialise en couches successives, semblables à des strates sédimentaires.

La Presse — Archivart abrite, à partir de 29 novembre, une exposition personnelle de l’artiste visuelle tunisienne Hela Lamine, intitulée «Les jardins de mon père». Une occasion de découvrir son univers poétique à travers des souvenirs qu’elle sème dans ses dessins et autres propositions plastiques renvoyant aux jardins «secrets» de son père.
«A la manière de Montaigne qui s’isolait dans le petit jardin de sa maison pour cultiver sa pensée et unir ses réflexions entre l’ordre et l’infini, entre la nature et la culture, son père, biologiste de formation, suivait, dans le silence et la lenteur, le moindre geste de la nature; observait l’infime trace d’un processus de genèse, jamais freiné, toujours en perpétuelle transmutation», lit-on dans un texte présentateur de l’exposition signé par Samia El Echi.
Hela est née en 1984 à Tunis. Son travail aborde le dessin comme un territoire en perpétuelle remise en question. Formée à la gravure à l’Institut supérieur des Beaux arts de Tunis, elle interroge la place de la ligne à une époque où l’image peut être infiniment reproduite, manipulée, consommée.
Sa pratique relève d’une sorte d’archéologie intime. Elle scrute notamment le dessin «à l’époque de sa reproductibilité technique», questionnant l’«aura» de l’œuvre, sa part de sacré, l’affrontement entre l’unique et le multiple, l’originel et le reproductible, le consommable, le consommé, et ce qui subsiste ensuite. Cette recherche s’inscrit dans un processus presque organique, une forme de boulimie graphique qui, avec le temps, se matérialise en couches successives, semblables à des strates sédimentaires.
L’artiste travaille essentiellement en séries, nourries de portraits et de corps qu’elle glane quotidiennement sur Internet, dans les livres, les magazines, les journaux et dans la nature. Elle collecte, archive, déplace, observe, dissèque, redessine encore et encore, dans un geste presque obsessionnel. Elle recompose ces figures dans des fictions qu’elle qualifie d’«ouvertes», en référence à la notion d’«œuvre ouverte» d’Umberto Eco.
Dans cet univers, la figure humaine est souvent malmenée, oscillant entre beauté et difformité, entre figuration et abstraction, entre rêve et cauchemar. Le corps y est poussé vers ses propres limites, et parfois au-delà, comme si chaque trait cherchait à révéler la tension fondamentale entre ce qui montre et ce qui échappe.
Dans «Les jardins de mon père», Hela, comme le note encore Samia El Echi, puise dans une atmosphère familiale et scientifique, où la nature prend forme de pensée et en tire un état d’être, celui d’une ultime symbiose entre l’homme et le règne végétal. La nature demeure, ainsi pour elle, une autre manière d’habiter le monde qui s’ouvre lentement au regard dans les détails de ces dessins. Ce jardin secret est devenu, pour elle, un espace symbolique où germent les graines enfouies dans la profondeur des souvenirs et des gestes.