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Journées Théâtrales de Carthage – « Le Roi Lear » à l’ouverture : Yehia El Fakharany en majesté

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  • 24 novembre 18:45
  • 6 min de lecture
Journées Théâtrales de Carthage – « Le Roi Lear » à l’ouverture : Yehia El Fakharany en majesté

La 26e édition des Journées théâtrales de Carthage a démarré samedi 22 novembre. Deux pièces ont marqué l’ouverture : «Rêve(s)… comédie noire » de Fadhel Jaibi et Jalila Baccar au Ciné-Théâtre Le Rio, et « Le Roi Lear », une œuvre du Théâtre national égyptien signée Shady Srour, avec à l’affiche la star Yehia El Fakharany. Les deux représentations se sont jouées à guichets fermés, témoignant une nouvelle fois de la passion des Tunisiens pour le quatrième art.

La Presse — Donnée dans la grande salle du Théâtre de l’Opéra de Tunis, la pièce « Le Roi Lear » a attiré un large public venu découvrir l’une des tragédies les plus célèbres, écrite en 1606 par William Shakespeare. Ce chef-d’œuvre intemporel, basé sur le roi légendaire britannique  des chroniques médiévales, explore les thèmes des liens familiaux, de la trahison et du pouvoir.

Il est étudié et mis en scène dans les théâtres du monde entier, demeurant pertinent à travers les siècles et soulignant l’universalité des thèmes shakespeariens qui inspirent encore d’innombrables pièces, films, œuvres littéraires et recherches.

La représentation du « Roi Lear », en arabe littéraire, a duré trois heures avec 30 minutes d’entracte. Elle a aligné une dizaine de personnages principaux et autant de secondaires, avec de nombreux figurants et danseurs. Elle a captivé le public par la puissance de ses acteurs, sa richesse esthétique mêlant baroque et contemporain, ainsi que par une mise en scène minutieusement orchestrée et percutante.

En résumé, le Roi Lear, incarné par Yehia El Fakharany, se voyant vieillir, décide de partager son royaume entre ses trois filles en fonction de l’amour qu’elles lui portent. Les deux aînées, Goneril et Régane, motivées par la cupidité et la soif du pouvoir, le flattent sans sincérité. Cordelia, la cadette, refuse de se plier à cette démonstration hypocrite et répond qu’elle l’aime simplement comme une fille doit aimer son père.

Lear, aveuglé par l’orgueil, la renie et la déshérite. Une autre intrigue se développe en parallèle : le comte de Gloucester et ses deux fils, Edgar et Edmund, se retrouvent eux aussi entraînés dans un tourbillon de trahisons et de dilemmes moraux.

Dès la levée du rideau, le regard se perd dans la beauté saisissante de la scénographie. La pièce s’ouvre sur une scène de bal dans un palais luxueux. La scénographie à plusieurs niveaux s’est révélée ingénieuse, créant des espaces réalistes grâce à la décoration et aux projections qui ont donné vie à l’arrière-plan. Des châteaux majestueux, témoignant de richesses opulentes, aux demeures des pauvres et jusqu’à la prison, des jeux visuels ont été créés, faisant de chaque changement d’espace un univers immersif pour les actions à venir.

Les costumes des ducs et des chevaliers, les robes somptueuses en soie ou en velours ainsi que les bijoux et fourrures ont recréé un univers baroque élégant, contrastant avec l’apparence du roi dépouillé par la suite, errant dans la tempête.

« Le Roi Lear » met en scène une galerie de personnages complexes et intrigants. Le public a été profondément touché en voyant entrer sur scène celui qui incarne le célèbre monarque, Yehia El Fakharany. Des applaudissements spontanés et des sourires émus ont traduit le sentiment de retrouver un visage familier presque intime tant il a marqué des générations par ses rôles emblématiques au cinéma et à la télévision, accompagnant le quotidien du public à travers ses personnages.

À 80 ans, on remarque sa difficulté à marcher. Néanmoins, la qualité de son interprétation d’un roi en pleine décadence ne laisse personne indifférent. De ses attitudes hautaines aux scènes de sa descente aux enfers, Yehia El Fakharany transmet une tension émotionnelle intense. Il glisse avec une aisance déconcertante de l’extrême gravité au lyrisme, en passant même par la grossièreté, tout en conservant cette touche d’ironie qui caractérise habituellement ses rôles.

En dépit du ton sombre, la pièce, qui se veut un drame familial violent et profond, comporte en effet une note d’humour à travers certaines situations, des répliques sarcastiques et la présence du personnage du clown. Les autres acteurs ont également livré un jeu réaliste dans cette intrigue foisonnante d’actions et de crimes : scènes de combat à l’épée, confrontations…

Tout a été maîtrisé avec un haut niveau, malgré quelques maladresses de prononciation en arabe littéraire. La musique qui a ponctué les moments de forte intensité dramatique a maintenu une tension constante, soutenant efficacement le rythme et l’évolution des actions.

La revisitation du classique shakespearien et sa mise en valeur par cette création contemporaine ont donné un souffle nouveau à l’œuvre. Avec un niveau de grandeur et de force dramatique remarquable, elle a élevé très haut la barre des attentes du public par rapport aux autres pièces au programme des JTC. Notons qu’une autre version iranienne de « Roi Lear » sera également présentée dans la section « Théâtre du monde. »

« Lors de la consécration, après la représentation du « Roi Lear », Yehia El Fakharany s’est adressé au public : « Qui dit Tunisie dit culture », lança-t-il, évoquant le souvenir du tout premier trophée qu’il a reçu en dehors de l’Egypte. C’était en Tunisie, en 1984, lors des Journées cinématographiques de Carthage, il y a donc plus de 40 ans… L’émotion des retrouvailles entre l’acteur et son public était donc partagée.

Les Journées théâtrales de Carthage se poursuivent jusqu’au 29 novembre avec une sélection de pièces tunisiennes et de nombreux autres pays du monde, invitant les spectateurs à voyager au cœur de cultures et d’univers théâtraux variés. Les informations sur le programme et les modalités de réservation sont disponibles en ligne et aux guichets de la Cité de la culture de Tunis.

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Auteur

Amal BOU OUNI