Mareth: Dans les entrailles silencieuses de la Ligne oubliée
A une cinquantaine de kilomètres au sud de Gabès, la route nationale s’enfonce dans une plaine aride balayée par le vent. Peu à peu, les palmiers s’espacent, remplacés par des étendues pierreuses où le sable se glisse entre les fissures du sol. Au premier regard, Mareth pourrait sembler n’être qu’une petite localité du sud tunisien, posée entre plaines caillouteuses et palmeraies éparses. Mais il suffit de quitter la route principale, de s’engager sur une piste légère, pour que surgisse une histoire enfouie sous la poussière du désert : celle de la Ligne Mareth, l’un des ensembles fortifiés les plus emblématiques de l’Afrique du Nord.
Le décor est brut. Une plaine ouverte, un relief discret, quelques oueds asséchés qui serpentent entre les collines. C’est précisément cette configuration qui, dans les années 1930, poussa les ingénieurs militaires français à y ériger un système défensif monumental destiné à protéger la Tunisie de toute incursion venue de l’Est.
La Ligne Mareth s’étendait alors sur près de 30 kilomètres, associant bunkers, fossés antichars, casemates enterrées et tunnels reliant les différentes positions. Aujourd’hui, le sable a envahi une partie des structures, mais leur présence ne laisse aucune place au doute : le site fut construit pour durer.
Un silence lourd, témoin du passé
En parcourant les fortifications, l’impression dominante est celle d’un silence profondément ancré. Le vent souffle à travers les meurtrières, comme pour rappeler que ces ouvertures, autrefois destinées à accueillir des canons ou des mitrailleuses, dominent encore la plaine. Le béton porte les stigmates du temps. Certains murs se sont fissurés sous la chaleur, d’autres se sont partiellement effondrés. Pourtant, la sobriété de l’architecture militaire demeure visible : angles précis, passages étroits, configurations souterraines pensées pour résister aux bombardements. Dans certaines cavités, l’humidité s’est installée. Dans d’autres, la lumière perce par de petites ouvertures et éclaire les parois rugueuses, créant une atmosphère presque muséale.
Un carrefour stratégique de la Seconde Guerre mondiale
C’est ici, en mars 1943, que la Ligne Mareth entra dans l’histoire mondiale. Non pas comme une fortification inactive, mais comme l’un des nœuds de la campagne de Tunisie. Les forces de l’Axe et les forces alliées s’y opposèrent violemment, faisant de ce lieu un point de bascule dans la libération de l’Afrique du Nord. Aujourd’hui, rien ne trahit directement l’intensité de ces affrontements. Le champ de bataille est redevenu un espace calme, où le vent et les dunes ont repris leurs droits. Mais la topographie, inchangée, permet encore d’imaginer la position des lignes, la logique des défenses, la brutalité des combats.
A Mareth, un espace muséal a été conçu pour redonner sens à ces ruines et contextualiser leur existence. Le centre rassemble des cartes, des photographies d’archives, des uniformes et des pièces d’artillerie retrouvées sur place. L’approche est simple : expliquer sans glorifier, montrer sans dramatiser. Le parcours invite à comprendre le rôle stratégique de la région, les enjeux géopolitiques de l’époque, ainsi que le fonctionnement des différents ouvrages de la Ligne. L’ensemble offre une lecture claire d’un site qui, sans ces repères, pourrait passer pour un alignement déroutant de blocs de béton abandonnés.
Un patrimoine à préserver
Aujourd’hui, Mareth oscille entre mémoire et oubli. Les fortifications sont exposées aux intempéries, au sable et au temps. Certaines parties pourraient disparaître si des mesures de conservation ne sont pas mises en œuvre, d’autant que le site attire un nombre croissant de visiteurs passionnés par la Seconde Guerre mondiale ou les fortifications du désert. Les autorités locales réfléchissent à des projets de mise en valeur : panneaux explicatifs supplémentaires, itinéraires balisés, restauration partielle de certaines structures. L’enjeu est double : préserver l’authenticité du lieu tout en garantissant sa compréhension par le public. Un désert habité par l’histoire. Mareth n’est pas seulement une ville, ni seulement une ligne de défense. C’est un territoire où le désert porte encore les traces d’un passé intense, où chaque bunker semble raconter une histoire silencieuse. Ici, la mémoire n’est pas imposée elle se découvre lentement, au détour d’un mur de béton, d’un fossé envahi de sable ou d’un couloir souterrain que le soleil n’atteint jamais. Dans ce coin du sud tunisien, la guerre appartient au passé, mais elle demeure inscrite dans le paysage. Et Mareth, discrète mais essentielle, continue de rappeler que même les lieux les plus isolés peuvent avoir été, un jour, au centre du monde.


